2013-11-01 : Traversée P40-Trou du Glaz

De Archives 3SI
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Traversée P40-Trou du Glaz
01 novembre 2013
Année 2013
Date 01/11/2013
Massif Chartreuse
Département Isère
Nombre de Victimes 2
Durée Moins de 12h
Nombre de Sauveteurs 29

Le contexte

Vendredi 31 octobre, vers 22 heures, Simon L. et Julien C. s'engagent dans le gouffre P40, une des entrées du réseau de la Dent de Crolles. Ils prévoient de sortir par le Trou du Glaz, vers 4 heures le lendemain matin, c'est en tout cas ce qu'ils disent à leurs proches.

Le samedi matin, un peu avant 11 heures, l'épouse de l'un d'eux s'inquiète et signale le retard à la gendarmerie de Challes-les-eaux (73). L'information est transmise à la brigade de Saint-Ismier, territorialement compétente. Elle explique que son mari est parti avec un de ses collègue pour faire une traversée dans le réseau de la Dent de Crolles par le gouffre P40. Le CODIS 38 est informé du retard par le PGHM. Les Conseillers Techniques (CT) du département reçoivent un SMS du CODIS 38 signalant une alerte spéléo. Thierry LARRIBE et François de FELIX joignent le CODIS. Les informations transmises sont alors :

  • Deux militaires du 13ème BCA sont partis faire une traversée dans le réseau de la Dent de Crolles par le P40 ;
  • Un des deux pratique régulièrement la spéléologie, l'autre en est à sa deuxième sortie ;
  • Ils ne connaissent pas l'itinéraire ;
  • Ils ont eu des difficultés à trouver l'entrée de nuit. Le dernier contact téléphonique a eu lieu avec le père de l'un d'eux vers 21h30, ils se trouvaient alors sur le plateau de la Dent de Crolles.

Le CODIS n'ayant pas le témoin direct en ligne, il n'est pas possible d'obtenir une conférence à trois. De tous ces éléments, Thierry LARRIBE conclut que le groupe a pu rencontrer des difficultés d'itinéraire. Dans cette course 2 parcours sont possibles dont un très technique, très étroit et donc plus long. La méconnaissance de l'itinéraire implique de nombreuses hésitations à chaque bifurcation. Compte tenu de la chronologie annoncée, le retard est bien réel. Il convient d'engager des équipes de reconnaissance. Il faut envoyer sur place une vingtaine de sauveteurs. Le CODIS recense les disponibilités au GRIMP, à la gendarmerie et à la CRS Alpes. Le SAMU doit se charger de mettre en pré-alerte un médecin et un infirmier.

Thierry LARRIBE joint le Sous-Préfet de permanence, vers 12h15 et obtient l'accord pour le déclenchement du plan de secours et le transport en hélicoptère des équipes devant s'engager dans la cavité. L'effectif d'une vingtaine de sauveteurs est aussi confirmé. La stratégie est d'engager des secouristes par le P40 ainsi qu'au trou du Glaz et de stationner un équipage du SDIS ou de la gendarmerie au hameau de Perquelin (Saint-Pierre-de-Chartreuse), où se trouve le parking du Guiers Mort, deuxième sortie possible.

À partir de 12h30, les personnes disponibles sont envoyées au col du Coq. À 14h00 le PC est installé par le SDIS. Après une analyse partagée de la situation, le COS valide les moyens à engager. La liaison avec la base de la Sécurité Civile est assurée par le CODIS. Les équipes sont constituées au fur et à mesure de l'arrivée des sauveteurs. 6 d'entre eux se préparent pour descendre par le P40 et sortir par le Glaz, en se séparant en deux pour fouiller les deux itinéraires possibles. Pendant ce temps, une dizaine de personnes se répartit sur deux objectifs par le Trou du Glaz : 6 pour la traversée vers le Guiers Mort et 4 pour fouiller les galeries du Trou du Glaz.

Vers 15h00, les six premiers sauveteurs sont montés par Dragon 38 au gouffre P40 en trois rotations. Ils s'engagent dans la cavité rapidement. Pendant ce temps deux opérateurs de l'ADRASEC 38 montent assurer une permanence radio à l'entrée du Glaz. Vers 16h15 ces derniers informent le PC que des spéléologues ont croisé les personnes recherchées au bas du Puits des 3 sœurs vers 13h00. Elles sont fatiguées. Ce groupe de spéléologues, mené par un membre de la 3SI, est entré dans le P40 en fin de matinée pour effectuer la traversée et sortir au Glaz. Ils ont laissé un des leurs avec les deux militaires sous un point chaud et sont sortis donner l'alerte ignorant qu'une opération était déjà engagée. Le puits des 3 sœurs se situant à une demi-heure du P40, il est décidé de dérouter les effectifs prévus au Glaz vers le P40 pour participer à l'évacuation. France ROCOURT, CTDSA rejoint le PC pour participer à la gestion de l'opération.

Une dizaine de personnes monte par hélicoptère vers le sommet de la Dent de Crolles et un opérateur de l'ADRASEC 38 et deux sauveteurs de la 3SI partent à pied vers le P40.

Le premier militaire sort vers 19h15 et le deuxième un quart d'heure plus tard. Les sauveteurs présents en surface les accompagnent vers le PC en prenant soin de prendre l'itinéraire le moins exposé au risque de chute. Le dernier secouriste sort à 20h30. Cinquante minutes plus tard tous sont au PC.

Sauveteurs engagés

Sont intervenus sur cette opération :

3SI
Laura BONNEFOIS Anthony BRIGAND Martin GERBAUX Thierry GUERIN
Laurent HYVERT Thierry LARRIBE Fabien LEGUET Serge LOAEC
Fabien MULLET France ROCOURT Éric SIBERT Ysabelle THOMAS
François de FELIX (à domicile)
SDIS38
Christophe DUSFOUR Thierry DELOCHE
ADRASEC38
Jean-Paul CANDE Damien DUPONT
Richard HAUTON Jean-Paul YONNET
CRS ALPES
Damien ASTOUL Lionel CHATAIN Benjamin VALLA
PGHM38
Pierre-Yves BESSON Jacques ANTOYE Sophie CAVALIER Laurent CHARBONNEL
Sébastien GOSSET Vincent ROBERT Benjamin RONGIER

Témoignage

Cyrille MATHON nous livre son témoignage :

« Weekend du 20 octobre. Je me ferais bien une dernière traversée de la Dent depuis le plateau, avant que la neige et l’hiver arrivent. Je propose à deux collègues guides de les emmener au P40. Nous planifions l’expédition pour le jeudi 31. Cette proposition les séduit car ils n’ont que peu l’occasion de venir en Chartreuse, l’un d’eux ne connait d’ailleurs pas cette traversée. Je me réjouis à l’avance de cette opportunité et pose avec bonheur une RTT à la veille d’un weekend de 3 jours.

Mais les choses ne vont cependant pas se passer comme prévu. Le 25, l’un de mes 2 collègue m’appelle, désespéré, m’informant qu’il ne pourra finalement pas être disponible. 4 jours plus tard, c’est au tour du 2ème de m’annoncer son indisponibilité, pour des raisons familiales imprévues. La mort dans l’âme, j’annule ma RTT... Il reste cependant un weekend de 3 jours. Je me dis qu’il serait surprenant que personne ne souhaite aller sous terre. Je contacte donc rapidement les copains, ceux du club, ainsi que d’autres. Timothée et Thomas me répondent dans la soirée. Ils sont tous les deux disponibles le 1er novembre. En plus, ils n’ont jamais traversé la Dent. Je valide immédiatement la date, mieux vaut tenir que courir.

Nous nous retrouvons donc le vendredi 1er novembre et entamons la journée par 1h30 de marche d’approche jusqu'à l’entrée du gouffre. On est vraiment contents d’être là, on va passer une bonne journée. La traversée étant relativement courte (moins de 5 heures sous terre, sans forcer, quand on connait l’itinéraire), c‘est également l’assurance de ne pas sortir trop tard (au grand bonheur des familles respectives).

Concernant le P40, lorsqu'il fait beau, il est très courant au terme de la marche d’approche de profiter du soleil et de la vue offerte par le plateau, avant de rentrer dans le trou. Souvent, cette pause bienfaisante se transforme en repas, ce qui évite ensuite de s’arrêter sous terre pour manger. La traversée étant courte, c’est le genre d’improvisation qu’on peut se permettre. Mais ce jour-là, le temps est plutôt froid, le ciel est gris et un vent continu contribue à nous refroidir rapidement, à notre grand regret. Nous nous préparons donc assez vite et rentrons sous terre sans tarder, reportant notre repas à plus tard.

Mes compagnons du jour ne connaissant pas l’itinéraire, je me retrouve très naturellement en tête de notre petite équipe. Au bout d’une trentaine de minutes de progression, arrivés au sommet du puits des 3 Sœurs, j’aperçois au fond deux lumières fixes. J’appelle, mais aucune voix ne répond. Je me tourne vers Thomas et lui demande, sans me rendre compte de l’incongruité de ma question, si quelqu’un nous a doublé. Sa réponse est évidemment négative. Intuitivement, je réalise que nous sommes assurément face à un problème. Il est impossible que les deux personnes qui sont au fond du puits, soient arrivées ici par un autre itinéraire. Peut-être même qu’elles sont là depuis un long moment. Nous descendons le puits et arrivons au contact de deux jeunes hommes d’une trentaine d’années. Leur matériel ressemble peu à celui de vrais spéléos. L’un d’eux est en pull militaire et en pantalon de montagne. Ils ont avec eux deux gros sacs à dos, d’où sortent des cordes de gros diamètres utilisées dans les travaux en hauteur.

J’engage la conversation. Ils nous racontent qu’ils sont entrés dans le gouffre de nuit, après l’avoir cherché pendant plusieurs heures dans le brouillard du plateau. Rapidement dépassés par la complexité du réseau et incapables de trouver leur chemin dans le labyrinthe des galeries, ils ont décidé de faire demi-tour et d’attendre là, qu’un groupe passe et les fasse sortir. Ils ont avec eux une topographie de la traversée relativement ancienne, connue des pratiquants comme étant fausse. Ils sont sous terre depuis quinze heures, dont quatre passées à attendre au bas de ce puits. Ils sont tous les deux épuisés et frigorifiés. Ils n’ont rien mangé depuis plusieurs heures et n’ont même pas avec eux de couvertures de survie.

On s’occupe de leur redonner des forces en leur offrant nos repas et en faisant chauffer du thé. On passe environ quarante-cinq minutes à les écouter nous raconter leur périple. Ils nous racontent que, très rapidement, ils se sont retrouvés dans une partie du réseau qui ne correspondait pas aux (maigres) informations qu’ils possédaient. Après plusieurs heures à chercher leur chemin, ils avaient décidé de faire demi-tour. Ayant tiré leurs rappels, le demi-tour put s’effectuer au prix de l’escalade en libre d’un puits d’une dizaine de mètres.

Je leur explique qu’ils se sont probablement égarés dans le réseau des Polonais. Mais avec une topo fausse, cela n’a rien d’étonnant. Je leur propose de se joindre à nous et de les conduire à la sortie. Ayant tiré les rappels, cela implique bien évidemment de faire la traversée. Ils acceptent ma proposition et nous quittons ensemble le bas du puits. Malheureusement, après à peine quelques mètres, l’un des deux ne peut déjà plus avancer. Coincé entre deux parois sur la première main-courant rencontrée, il m’explique qu’il a des crampes aux bras. L’affaire prend donc une toute autre tournure : les parties les plus dures de la traversée étant devant nous, il n’est plus question de les évacuer par nos propres moyens. Il faut les mettre en sécurité et déclencher un secours.

Nous retournons au bas du puits des 3 Sœurs. Avec Thomas, nous fabriquons rapidement une tente avec nos couvertures de survie et leurs cordes, puis les invitons à se placer à l’intérieur. Timothée se propose pour rester avec eux. Je suis ravi de sa proposition car je sais qu’il sera, aussi longtemps qu’il le faudra, une très bonne compagnie pour nos 2 égarés. Je pars donc avec Thomas pour donner l’alerte. Nous quittons le point chaud vers 14h00. Nous sommes à environ quatre heures de la sortie au Trou du Glaz. Mais ce jour-là, avec Thomas, nous n’en mettrons que deux.

À l’identique du secours de juillet, c’est une des compagnes des deux égarés qui, n’ayant aucune nouvelle, donne l’alerte. Arrivés au Trou du Glaz, l’opération de secours est déjà déclenchée et les moyens de communications sont en place. Nous arrivons donc juste à temps pour donner des informations précises sur la localisation des deux jeunes hommes. Le timing est très bon : nous évitons un déploiement massif de sauveteurs sur toute la Dent et permettons de recentrer l’utilisation des ressources. Quelques minutes plus tard, nous entendons l’hélicoptère prendre la direction du plateau, emmenant à son bord la première équipe de secouristes.

C’est en sortant définitivement de la grotte avec Thomas, que la chronologie des évènements de la semaine va occuper mon esprit jusqu'au Poste de Commandement : une exploration au P40 prévue dans la semaine, annulée la veille suite à des impondérables, mais reconduite quarante-huit heures plus tard par le jeu des disponibilités de chacun et finalement réalisée lors d’une journée plutôt froide qui nous incite à entrer dans le gouffre plus vite qu’à l’accoutumée. Objectivement, je n’avais rien à faire ici ce jour-là. Mais, visiblement, la sérendipité en avait décidé autrement et avait construit, dans l’ombre, le contexte nécessaire à une issue heureuse. Elle avait d’ailleurs tout prévu, jusqu'au moindre détail, instillant dans mon esprit une question pour laquelle je n’aurais jamais de réponse : Que serait-il advenu de nos égarés si, le beau temps aidant, nous avions traîné une heure de plus en surface ? »

Article de presse