1982-07-11 : Dent de Crolles

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Dent de Crolles
11 juillet 1982
Année 1982
Date 11/07/1982
Massif Chartreuse
Département Isère
Nombre de Victimes 1
Durée Plus de 4 jours
Nombre de Sauveteurs 75

Le contexte

Le 11 juillet 1982, vers 12h00, Baudouin L., Olivier S., Marilyn M. et Thierry F. entrent dans la grotte du Jibé située dans les falaises de la Dent de Crolles. Ils ont pour objectif de retrouver le fort courant d'air qui disparaît dans le puits de 130 m. Le groupe explore les lucarnes de ce puits. C'est en pendulant pour atteindre l'une d'elles que Thierry F. décroche un groupe de blocs qui percute Baudouin. Il a mal au bras et à la hanche, il saigne. Olivier S., qui se trouve plus haut, sort donner l'alerte. Il est 16h00. Thierry F. rejoint Baudouin et l'aide à passer sur son descendeur. Il l'accompagne jusqu'à une vire située en contrebas qu'ils atteignent par un pendule. Là, ils attendent.

À 17h06, Albert OYHANÇABAL est informé de l'accident par la gendarmerie. Assez rapidement, France GUILLAUME se rend sur les lieux, accompagnée par un sauveteur de la CRS 47. Le SAMU 38 est avisé et les sauveteurs de la 3SI sont mis en alerte, tout comme les pompiers. À 20h30, l'équipe médicale arrive auprès du blessé. Pendant ce temps, une autre équipe effectue une reconnaissance pour évaluer les besoins, puis ressort à 0h15 le lundi 12 juillet.

France GUILLAUME diagnostique une fracture du pouce et une fracture ouverte de l'humérus. L'évacuation du blessé, qui s'effectuera en brancard, nécessitera d'élargir de nombreux passages. Une commande d'explosifs est donc passée sans délai auprès de la gendarmerie et à 2h00, 5 artificiers isérois sont requis. Le chantier d'élargissement de 2 méandres va prendre du temps. L'équipe médicale installe donc confortablement le blessé dans un duvet. Devant l'ampleur des travaux à mener, les artificiers de la Savoie et de l'Ardèche sont appelés en renfort.

À 11h00, la première équipe d'artificiers est engagée. Elle sort au bout de 10 heures. La 2ème entre sous terre à 17h40. À 18h20, la relève de l'équipe médicale assurée par Olivier KERGOMARD monte sur site. Elle arrive au contact de la victime vers 23h00 et France GUILLAUME sort à 23h27.

Le mardi 13 juillet, entre 0h20 et 0h30, les 3ème et 4ème équipes d'artificiers pénètrent dans la cavité. Devant les difficultés rencontrées par les équipes de désobstruction, il est décidé de faire appel au savoir-faire de Claude BOU, spéléologue tarnais qui fait référence en la matière. Ce dernier fait le voyage en avion et arrive sur site à 12h30. Pendant ce temps, la 5ème équipe d'artificiers entre en action. À 10h30, Michel BARTHE relève Olivier KERGOMARD. À 17h00 une équipe d'équipement du puits est engagée. À 22h30 c'est au tour de la 6ème équipe d'artificiers de reprendre le chantier d'élargissement. Durant cette journée, une grosse quantité de bois d’œuvre et de grillage est acheminée sur le plateau sommital de la Dent de Crolles, afin de construire sous terre une structure permettant de protéger la victime des projections dues aux nombreux tirs d'explosifs.

Le mercredi 14 juillet, à 0h20, le matériel de boisage ainsi que le grillage sont acheminés dans la cavité pour aménager une plateforme au-dessus du blessé. Cette structure permettra de la protéger des chutes de pierres. À 12h00, la 7ème équipe de désobstruction effectue les derniers tirs dans le méandre au sommet du puits. À 13h00 la nouvelle équipe médicale part pour préparer l'évacuation. Elle est accompagnée de sauveteurs qui vont appareiller le blessé.

À 18h20, la remontée de la victime commence. Elle est supervisée par Olivier KERGOMARD et France GUILLAUME. À 20h30 le blessé est au sommet du grand puits et commence alors l'évacuation dans le méandre élargi. Si la progression dans le premier méandre a été rapide, il n'en va pas de même dans le second, dont la victime sort à 1h40 le jeudi 15 juillet. Le brancard sort de la cavité à 4h45, il est immédiatement treuillé dans la falaise et arrive sur le plateau sommital de la Dent de Crolles à 5h40. Approximativement 1h plus tard, il part en hélicoptère vers l’hôpital de Grenoble.

À noter qu'André BONHOMME, sauveteur ardéchois, a eu la main fracturée par une chute de pierre dans un puits. Après avoir terminé sa mission, il est évacué vers l’hôpital de Grenoble.

Sauveteurs engagés

Sont notamment intervenus sur cette opération :

3SI
Marc ROSSETTI Yves PERRET Pierre GIANESE
Patrick DAVIN Olivier SCHULZ Thierry FERRAND
Guy BRABANT Pierre GARCIN Henri-Jacques SENTIS
Jean-Pierre POUCHOT Jean-Michel FRACHET Jean-Pierre VINCENT
Gilles LINGER Christophe GAUCHON Bernard PLAN
Michel BELLE Daniel PESENTI Serge CAILLAULT
Guy PROUIN Philippe ACKERMAN Jean-Jacques DELANNOY
Albert OYHANÇABAL Philippe MOIGNET Guy MASSON
Bruno TALOUR Philippe BONNEFOY Thierry BONNEFOY
Philippe CARBONNEL Luc LAFOND Jean-Luc GAMONET
Georges MARBACH Maurice CHIRON Bernard FAURE
Loys GOIRAND Patrick GARCIN Jacky SORET
Henri ROSSETTI
SSF 73
Yves GOURJU Pierre DUPORT Jean-Louis FANTOLI
René BLAD
SSF 07
Daniel POULNOT Michel ROUX André BONHOMME
SSF 81
Claude BOU
SAMU 38
Michel BARTHE France GUILLAUME Olivier KERGOMARD
CROIX ROUGE FRANÇAISE
Yves CHATAIN Henri CHATAIN Pierre DEGUEURCE
Michel RAIBON
BASE HÉLICOPTÈRE DU VERSOUD
Commandant AUBERT GRAVIOU LAMOUSSE
ROCCA ROUET
CRS 47
Commandant BARRERE Émile CHAILLAN Michel FOUAD
Marc GALMARD Alain HOCHEL Christian MERCIER
Guy QUER François TOMET
SDIS 38
BACHIMONT CLERE DIDIER
Philippe PORCHERON Joël LAMBERT PIRAUD
RENAUD Noël RUFFET BOISSIN
MONVOISIN SMOTER


Témoignage de Baudouin LISMONDE

L'accident

Sur l'accident, Baudouin LISMONDE écrit :

« Tout s’est passé très vite. Je n’ai pas eu peur et à peine mal, mais le choc a été formidable. Les bruits des pierres s’arrêtent. Mon corps est complètement désorganisé, il ne m’envoie aucun signal intelligible. Mais je ne suis pas mort. Je rassemble mes esprits. Il me semble que ma bonne étoile est avec moi et que je m’en tirerai avec seulement de gros hématomes par tout le corps. Je me dresse sur mes pédales et commence à examiner mon corps. Je tends mon bras gauche, il n’a rien. Je tends ma main droite et regarde l’endroit qu’elle devrait occuper : il n’y a que le vide. Le bras non plus n’est pas là ! Pendant une seconde, l’idée affreuse qu’ils ont été arrachés m’effleure. Un coup d’œil le long de mon corps me montre le bras qui pend complètement inerte. Je comprends aussitôt qu’il est cassé. Tristesse... Ma bonne étoile m’a abandonné aujourd’hui. Cela va se terminer par un sauvetage et toute sa difficulté m’apparaît aussitôt.

Thierry, au-dessus, s’inquiète et me demande si ça va. Je lui annonce avec une voix que j’aurais voulu plus ferme, mais où je sens un tremblement, que mon bras est cassé et qu’il faut prévenir les secours. Il transmet les nouvelles et les instructions à Olivier au sommet du puits. Je m’examine plus soigneusement. Je suis accroché à mes bloqueurs par le baudrier de poitrine dans une position bien inconfortable. En me redressant sur mes pédales, j’ai senti une forte douleur à la hanche droite qui m’empêche de continuer la remontée et je sens le sang qui commence à remplir doucement le gant de la main droite. Je me sens très faible et j’ai peur de perdre connaissance au milieu de ce puits dans une position aussi précaire. Je pense à la petite plateforme que j’ai vue il y a quelques instants à peine et ma décision est vite prise d’attendre les secours à cet endroit.

Je demande à Thierry de descendre aux bloqueurs sur la corde pour m’aider à mettre mon descendeur (manœuvre qui nécessite les deux mains). Il me rejoint bientôt. Je le mets au courant de mes intentions. Il est visiblement très ému et navré de cet accident et je me souviens de ses mots “Quand je pense que j’ai failli te tuer“. Il m’explique les circonstances de la chute des pierres, mais je n’ai qu’une idée : descendre le plus vite possible car la douleur commence à se préciser dans mon corps. Il installe mon descendeur. Je fais une clé dessus, me redresse et descends aux bloqueurs jusqu’à ce que le descendeur soit en tension. J’ai beaucoup de peine à effectuer les manœuvres, mais ne fais aucune faute. Je défais mes bloqueurs et me laisse descendre jusqu'au nœud où je m’arrête. Thierry me rejoint, met mon descendeur, mais le mousqueton se coince au-dessus du nœud et la manœuvre échoue. Je me sens de nouveau très faible et j’ai peur de perdre connaissance. Je me force néanmoins, monte sur mes bloqueurs et nous recommençons la manœuvre plus posément. Elle réussit, et je me laisse glisser sur la corde. L’idée me traverse l’esprit que la corde est peut-être endommagée et j’essaye de la contrôler au passage. Tout le long de la descente, les dégoulinades de sang sur la paroi me font une impression assez pénible (mon gant a dû déborder). J’arrive à la plateforme. Un premier pendule échoue, mais au 2e, j’arrive à prendre pied. En fait, ma hanche me fait tellement mal à présent que je ne peux rester debout et je me couche aussitôt sur le côté gauche en prenant soin de poser mon bras droit dans une position pas trop douloureuse.

Thierry me rejoint peu après. Il m’aide à m’installer sur cet emplacement très exigu. Deux parois limitent la place sur deux côtés, les deux autres débouchant sur le vide. Thierry me donne sa combinaison pour me la glisser sous le dos. Je n’ai qu’un rhovyl et ma combinaison, et ils sont humides de transpiration. Rapidement, j’ai froid. Je fais le compte de mes blessures maintenant que les signaux venant de mon corps sont intelligibles. Fracture ouverte du bras. Il me semble aussi fracture des côtes vu ma difficulté à respirer. Fêlure probable du bassin au niveau de la hanche droite. J’ai tout le dos douloureux, mais rien de grave de ce côté. Je bouge mes doigts de la main droite, il n’y a pas de perte de sensibilité. J’ai du mal à maîtriser les muscles de mon bras droit et quand je pivote sur le côté pour soulager mon dos endolori qui repose sur les cailloux, quelques mouvements de mon biceps droit réveillent une douleur intense. Par la suite, j’arriverai à tenir ces muscles totalement inactifs, même pendant les courtes phases d’endormissement.

Thierry me raconte une nouvelle fois, les circonstances de la chute de pierres. Pour envoyer le caillou dans le puits parallèle, il a pendulé sur la corde qui était accrochée au-dessus. Au cours du pendule, la corde a touché la voûte du puits et a décroché les blocs dont un lui est même tombé sur le pied. L’accident a dû avoir lieu vers 15 h. Je calcule le temps qu’il faut à Olivier pour aller chercher les secours. Je pense que si l’hélicoptère est libre et peut monter avant la nuit, j’aurai quelqu’un à 23 h. Je n’ai plus qu’à patienter. Ce n’est pas mon bras qui me fait le plus mal mais mon diaphragme et mes côtes. Mais la douleur est supportable. Thierry me demande si je connais les points de compression au cas où mon bras continuerait à saigner. Je les ignore. Mais au bout d’une heure, cela ne saigne plus et du coup, le dernier de mes soucis disparaît. Je pense au déroulement du sauvetage. Le puits ne posera pas de problèmes. Le méandre au contraire demandera de longues heures de désobstruction, plusieurs jours probablement, mais j’ai déjà une totale confiance en l’issue de l’opération car le méandre n’est pas long. De toute façon, ce n’est pas mon souci. Une seule idée m’occupe l’esprit, attendre l’équipe de secours avec laquelle il y aura sans doute un médecin. Il pourra soulager la douleur.

Le froid commence son effet. L’inconfort dû au froid dépasse bientôt la douleur de mes blessures un peu anesthésiées, il est vrai, par la température. Je me mets à frissonner, le dos, la poitrine, les jambes et bientôt les bras et même le bras cassé qui s’agite en des soubresauts presque obscènes. Je sens mes os qui s’entrechoquent et l’impression est plus pénible psychologiquement que vraiment douloureuse. J’essaye de me décontracter les muscles. J’y arrive imparfaitement et les frissons reprennent encore plus violents. Par moments, tous les frissons sont en phase et leur amplitude devient impressionnante. J’ai l’impression de perdre toute mon énergie par cette perte de chaleur tout le long de mon dos au contact avec la roche glacée. Thierry me passe son rhovyl que je mets sur ma tête et l’attente se poursuit, interminable. Lui-même n’a pratiquement plus rien sur le dos ! J’essaye de somnoler, nous consultons régulièrement ma montre. Mes frissons sont ininterrompus ; aussi, Thierry me propose de se coucher sur moi en se tenant sur les bras pour ne pas m’écraser les côtes. Malgré mon scepticisme, l’effet est concluant. Cet apport de chaleur me fait du bien, même s’il ne stoppe pas complètement les frissons. Je constate que les accès de douleur sont toujours suivis de crises de frissons. »

La prise en charge médicale

Sur la prise en charge médicale, il ajoute :

« Cette fois, c’est sûr, il y a quelqu'un qui progresse dans le méandre, 100 m au-dessus de nous. Les bruits se précisent. Nous entendons des voix. Thierry appelle. Il me semble reconnaître la voix de France GUILLAUME. Une grande joie me traverse. Je ne sais pourquoi, j’espérais que ce serait elle qui viendrait. Cliquetis de mousquetons aux passages des fractionnements ou des nœuds. Nous entendons toutes ces manœuvres. Quelques graviers tombent, qui nous font remettre nos casques. À 23 h, ils arrivent à notre niveau. France Guillaume, que je suis tellement content de voir et Guy QUER. France, comme s’il n’était pas question d’accident, nous salue et vient m’embrasser dans mon réduit. Quel réconfort dans ce calme. Elle regarde mon œil pour voir si j’ai perdu beaucoup de sang. Pas trop me dit-elle.

Elle me prend le pouls puis elle s’installe et commence à découper ma combinaison, mes sangles de cuissards, ceinture, baudrier. Cela me fait un peu mal au cœur de voir tout ce saccage, mais nécessité oblige. J’ai froid, mais cela n’est rien, tant je suis content qu’elle s’occupe de moi. Elle me trouve une fracture du pouce droit qui m’était restée ignorée. La fracture ouverte ne lui plaît guère car elle pensait en descendant, à une fracture simple de l’avant-bras qu’elle aurait plâtrée, ce qui m’aurait permis de sortir tout de suite après. Ce ne sera pas le cas. Elle pense qu’il n’y a rien à la hanche, ou au maximum une fêlure et rien aux côtes. Après cet examen, elle me donne un antalgique et s’emploie à nettoyer et désinfecter correctement la plaie, puis elle me fait un pansement. Finalement elle me donne sa veste en duvet qu’on a du mal à m’enfiler. Heureusement, la douleur est vite compensée par le délice de la chaleur. Quel bonheur dans cette chaleur !

Mais c’est elle qui va avoir froid à présent. Guy est remonté chercher le duvet de la SSSI et au petit matin, je me retrouve, sinon confortablement, du moins chaudement installé dans le duvet démontable spécial pour les secours, qu’on referme avec des velcros partout. France m’a fait plusieurs perfusions d’antibiotiques, glucose... et les injections, de ce qu’elle appelle supermorphine, me font un bien immense et me permettent de m’assoupir. Ce calmant est vraiment extraordinaire et au cours de mon séjour, j’aurai l’occasion d’en apprécier tous les bienfaits. À petite dose, la douleur s’atténue presque complètement en 2 ou 3 s. À double dose, une très agréable sensation de chaleur m’envahit. À triple dose, j’ai du mal à garder ma lucidité et le contrôle de ma conscience. L’inconvénient est que cette drogue surpuissante m’enlève en partie l’automatisme de ma respiration. Aussi, après m’en avoir administrée, France se couche à côté de moi et écoute ma respiration. Régulièrement elle me rappelle à l’ordre : “respire ! respire !” J’obéis et essaye de penser à la respiration suivante mais bientôt j’oublie cette tache inhabituelle et je m’arrête de respirer, d’où un nouveau rappel à l’ordre. J’aime cet état suspendu, presque planant dans lequel me met cette drogue, et la chaude présence de France dont je sens le corps contre moi m’est d’un très grand réconfort.

Je m’inquiète des risques d’accoutumance et j’essaye d’en demander le moins souvent possible, seulement pour m’assoupir. Le temps passe plus vite maintenant que j’ai le confort. France et Thierry, qui est resté, s’organisent avec de minces couvertures de survie pour avoir moins froid, car c’est moi le privilégié dans cette histoire alors que mes compagnons en bavent. Mais je n’en suis même pas gêné. Néanmoins, le moindre geste m’est pénible et les essais que je fais pour avaler quelque chose, même de l’eau, se soldent tous par des nausées, affreuses pour mon diaphragme très sensible. Avec toutes les perfusions que je reçois, j’éprouve le besoin de pisser, ce qui semble satisfaire France, mais m’oblige à de savantes contorsions. Heureusement que je me fais aider pour cette opération. C’est là que je me rends compte, moi si pudique, que la pudeur est un luxe de personne en bonne santé. »

L'évacuation

Sur l'évacuation, Baudouin indique :

« Les dynamitages continuent. Une trappe en bois a été installée au sommet du puits à grand renfort de coups de marteau. Très efficace cette porte, car aucun caillou n’est descendu. L’après-midi, Olivier KERGOMARD descend aussi et ils commencent à me préparer pour la sortie. La veine de mon bras qui sert aux perfusions est enflammée sur 30 cm, elle est dure comme du bois et les perfusions fuient. France essaye d’en trouver une autre sans succès. Olivier passe un temps fou et enfin avec beaucoup de patience de sa part et beaucoup de piqûres pour mon bras, une veine consent à se laisser percer par l’aiguille. Ce point étant réglé, on m’installe dans le brancard qui est arrivé. Je demande à garder le bras gauche dehors. Maurice et France remontent. C’est Olivier qui va m’accompagner tout le long de la remontée.

Alors que tout le monde est prêt dans le puits pour me tirer, Olivier sort un petit casse-croûte de son sac et mange tranquillement. Il m’a injecté un excitant pour m’éviter une syncope dans la position verticale et je bous d’impatience de remonter. À un moment, j’ai failli lui dire “ Mais qu’est-ce qu’on attend pour remonter ?” car sa lenteur m’énerve. Heureusement que je me suis abstenu car je l’ai vu par la suite se dépenser sans compter tout au long du sauvetage et le casse-croûte n’était vraiment pas de trop. Enfin, tout est prêt. Le Talky Walky ne marche pas, mais Maurice et France, en relais, transmettent les ordres. L’impression est très agréable d’être tracté dans le puits. Avec mon bras valide, j’évite les chocs sur l’autre bras. La transmission des ordres est bonne et Olivier fait sauter les poulies impeccablement à chaque renvoi. J’admire les manœuvres. Le passage de la vire à gros blocs à -40 est un peu délicat. La dernière longueur est assez pénible car la pente à 70° fait que je racle et me coince régulièrement l’épaule sous les becquets de la pente lapiazée. La lucarne de sortie qui avait inquiété certains se passe sans problème et je me retrouve allongé dans la petite salle.

Il y a du monde et cela me fait drôle de voir tout ce monde, Bernard FAURE, Bernard PLAN, Bruno TALOUR, Jo MARBACH, Philippe ACKERMAN et d’autres encore dont je serre la main, car j’ai un peu l’impression d’arriver à une réunion de spéléo. Puis cela repart. Dans le premier méandre, le brancard passe juste et il est très difficile à manœuvrer à cause du manque de hauteur du boyau. Mes sauveteurs s’y crèvent et malgré mes efforts avec mon bras valide, je ne suis pas d’un grand secours. Je me retrouve enfin à la base du puits qui sépare les deux méandres et j’attends un petit moment. Les équipes tournent. Olivier KERGOMARD est derrière moi, je ne le vois guère, mais il s’occupe activement de mon évacuation. Ça repart, mais la sortie du puits est un peu délicate et il faut s’y prendre à deux reprises. Ce méandre présente une pente plus forte que l’autre et il s’avère très pénible surtout qu’il est encombré de gros blocs. Au bout d’un moment cela coince. Il me semble que le brancard ne peut pas passer malgré l’avis contraire d’Olivier. Je propose de sortir du brancard et de franchir le passage étroit moi-même.

On me “débrèle”, j’essaye de me mettre debout, on m’aide, mais je ne peux rester dans cette position à cause de mon bassin. Je me couche. On me passe des sangles sous l’épaule gauche et sous le bassin et je progresse ainsi avec mes faibles moyens. On arrive ainsi à avancer d’une dizaine de mètres puis on me remet dans le brancard et là, j’ai un trou de mémoire. Je crois qu’Olivier m’a fait une injection carabinée de calmant. Je me retrouve plus tard en bas des puits d’entrée. J’attends un peu en bas du P20 en 2 ressauts. Je crois vraiment que l’injection d’Olivier est trop forte car je suis obligé de lutter désespérément pour ne pas m’assoupir et pour contrôler ma montée (frottement du nez contre la paroi). J’arrive en haut après m’être assoupi plusieurs fois. J’ai même fait des rêves. "Je suis dans une expédition spéléo. Je vais bien pour ma part mais j’ai l’impression que ceux qui m’entourent ne sont pas tout à fait à la hauteur et je râle". Après coup, je me rends compte de l’incongruité des phrases que j’ai dû prononcer à ce moment. J’étais le secouru et je me suis permis d’engueuler mes sauveteurs. J’espère qu’ils ne m’en auront pas gardé rancune...

Dans la petite traversée entre les deux puits, j’ai eu la trouille que le brancard ne descende dans la crevasse. Puis, peu à peu, je reprends le contrôle de moi-même. C’est le dernier puits. La sortie en est bien difficile et plusieurs fois ma tête va se coincer sous le gros bloc. C’est très pénible, mais j’arrive à aider au passage. Juste après le puits, il y a un ressaut d’un mètre. Le passage s’avère impossible et Jean Jacques DELANNOY et d’autres s’y fatiguent énormément. Finalement je sors du brancard et finis les sept derniers mètres en rampant, bien tracté par Jean-Jacques et poussé par derrière. J’atterris sur le brancard Puygillem des CRS de montagne qui m’attendent à la sortie depuis de longues heures.

Il fait nuit (4 h) mais il fait bon et je suis très heureux, presque en forme. Olivier aide les CRS à me saucissonner. Il y a deux câbles et une corde d’assurance. Je n’aime pas le deuxième câble qui ne sert à rien à mon avis, mais ne fais pas de remarque, instruit par l’expérience précédente. Un jeune CRS m’accompagnera dans la remontée des 50 m de falaises. Les Talkies Walkies marchent et bientôt les câbles se tendent sous l’effort de traction des treuils à manivelles et je pars en pendule dans le vide. Il y a 200 m de “gaz” sous moi. Mais je suis très bien et apprécie beaucoup de me retrouver dans cet air tiède. On voit encore quelques étoiles et la lune qui en est à son dernier quartier. La montagne reste très sombre, mais on voit les lumières de Grenoble. Mon accompagnateur qui est accroché sous mon brancard n’arrive pas à se faire obéir correctement. Nous nous mettons à tourbillonner, les câbles s’emmêlent à la corde. Cela fait un joli merdier. Le passage des surplombs pose quelques problèmes.

Mon accompagnateur, à un certain moment, laisse percer un accent d’angoisse dans sa voix et je ne peux m’empêcher de penser d’une manière détachée que lorsqu'on est sauveteur, il faut maîtriser le ton de sa voix. À un surplomb, je viens me coincer sous le toit et la traction des câbles me fait craindre le pire. Vais-je périr écrasé ? Finalement, nous sortons des surplombs, j’ai mal aux côtes et il commence à faire jour. Dans les dernières pentes, les câbles frottent d’une manière inquiétante sur des blocs et j’ai peur qu’il en tombe quelques-uns. Du renfort arrive pour mon accompagnateur et les sauveteurs font glisser latéralement mon brancard suivant l’arc d’un cercle. Ma position est assez inconfortable, car je suis la tête en bas, mais bientôt on passe sur le plateau. Il y a du monde.

Mes sauveteurs du trou sont montés aux bloqueurs et m’attendent. On m’entraîne sous la tente. Je suis assez fatigué. France m’injecte un analgésique et sans doute une forte dose car elle ne cesse de me rappeler de respirer, puis elle refait mon pansement, mais mes souvenirs deviennent confus. J’ai vu Albert OYHANÇABAL, Olivier et quelques autres, mais j’ai dû m’assoupir. Un peu plus tard, l’hélicoptère arrive, on m’y transporte et je m’envole avec France et le pilote vers l’hôpital Sud. Je vais bien et j’aurais bien aimé profiter du paysage, mais au fond de l’hélico, on ne voit rien. »

Épilogue

C'est la première fois que les explosifs sont utilisés avec une telle ampleur en Isère, en opération. C'est aussi la première fois qu'autant d'équipes d'artificiers se relayent. En fonction des effets désirés et du stock disponible, les artificiers ont utilisé du Symagel, de la gomme A, du Titagel et du cordeau détonant. 2 analyseurs de gaz Draeger ont été mis en œuvre durant toute la durée du chantier. Heureusement pour tous les intervenants et la victime, un fort courant d'air a évité que l'air soit vicié par les gaz de tir.

Le coût de l'intervention s'élève à 16 571 Francs.

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