2012-09-21 : Gouffre Motus

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Gouffre Motus
21 septembre 2012
Année 2012
Date 21/09/2012
Massif Chartreuse
Département Isère
Nombre de Victimes 1
Durée Plus de 4 jours
Nombre de Sauveteurs 112

Le contexte

Le 21 septembre, un groupe de trois spéléologues composé de Thierry V., Vincent F. et Charles B., commence à élargir la galerie du fond du gouffre Motus, à 180 mètres de profondeur. Le premier, spéléologue chevronné, se trouve dans le fond de la galerie quand il est pris sous un éboulement. Deux gros blocs rocheux pesant approximativement deux tonnes, ont soudainement glissé, sans raison apparente, il est 16h15. Ses deux compagnons essaient en vain de le dégager. L'un d'eux reste à ses côtés, pendant que l'autre sort donner l'alerte.

Le spéléologue qui est sorti vers 18h15 appelle un membre de son club, qui prévient à son tour Laurent MINELLI. Ce dernier diffuse l'alerte aux autres Conseillers Techniques et au CODIS 38. Dès la prise d'alerte, le témoignage de l'appelant et les circonstances de l'accident laisse présager du décès de Thierry V.. Le plan de secours spéléologique est déclenché à 19h15 par le Directeur de Cabinet du Préfet de l'Isère.

Première phase : le 21 septembre

Dès le départ, compte tenu du risque de chutes de pierres, il est prévu d'engager le moins de monde possible. Un officier de police judiciaire doit se joindre à la première équipe. Des artificiers sont mis en pré-alerte. Un fournisseur en produits explosifs est contacté, pour une disponibilité dans la soirée, le cas échéant. Un médecin et un infirmier du SAMU 38 se préparent à partir. Il est convenu que si la victime est décédée, le Directeur de Cabinet prononcera l'arrêt du plan de secours et se sera alors au Procureur de la République de se prononcer sur la suite à donner. Cela permettra à tous les intervenants de réfléchir à tête reposée aux options pour la remontée du corps.

Deux équipes sont rapidement formées pour s'engager au plus vite. La première a pour mission le contact avec Thierry V. et le spéléologue qui est resté à ses côtés. La deuxième doit prendre en charge ce dernier pour le faire sortir, établir des liaisons radio avec le système Nicola et effectuer les constatations judiciaires. L'effectif engagé sous terre dans un premier temps est de six spéléologues, comprenant des sauveteurs du PGHM, du SDIS 38 et de la 3SI.

Dès que le décès de Thierry V. est constaté, il est demandé à tous les sauveteurs de remonter à la surface. La dernière équipe sort à 01h35. Cette décision a été prise pour laisser le temps d'évaluer les risques de nouveaux éboulements et l'ampleur du chantier de désobstruction. M. RAMPON, Directeur de Cabinet du Préfet, présent sur place, a exercé les fonctions de Directeur des Opérations de Secours.

Le poste de commandement (PC) est installé sur le parking de la maison forestière de Génieux. Le SDIS 38 fait monter des véhicules PC et logistique, ainsi que du personnel qui assure des missions sous terre, les communications, les navettes vers l'entrée de la cavité et le commandement de l'opération. La gendarmerie gère l'accès au site et des membres du Groupe Spéléo de la Gendarmerie Nationale (GSGN) sont engagés sous terre pour l'aspect judiciaire. D'autres militaires sont en réserve pour effectuer des missions dans la cavité, tout comme les policiers de la CRS Alpes. La 3SI a mobilisé ses effectifs pour assurer des missions sous terre, la gestion des intervenants et certains de ses sauveteurs étaient prêts à être engagés. Trois Conseillers Techniques du Préfet étaient présents sur site (François DE FELIX, Lionel REVIL et Thierry LARRIBE) et deux à leur domicile (François LANDRY et Laurent MINELLI), assuraient l'interface avec les équipes en pré-alerte.

Au PC, les téléphones mobiles ne peuvent ni émettre, ni recevoir d'appel. La gendarmerie arrive à joindre le CORG et à faire passer des communications par ce biais. Le SDIS 38 met à disposition de l'opération 2 téléphones satellitaires qui, malgré de nombreuses tentatives d'appels infructueuses, s’avérèrent bien utiles par la suite. L'ADRASEC 38 établit les liaisons avec l'entrée de la cavité. Le système Nicola a bien fonctionné entre la surface et le fond, permettant de gagner du temps sur la remontée d'information, alors que la géologie n'était pas favorable.

Les personnes connaissant bien Thierry V. nous ont immédiatement signalé que les parents de ce dernier étaient âgés et malades. Il est alors paru préférable d'informer Pascal V., frère de Thierry. Pascal étant spéléologue dans le département des Alpes Maritimes, les Conseillers Techniques isérois ont contacté leurs homologues du sud de la France. C'est par ce biais que le téléphone mobile de l'intéressé a été obtenu. Dans un premier temps, le CTDS lui a dit que Thierry V. avait eu un accident grave puis, dès que le compte-rendu de l'équipe de pointe est parvenu à la surface, le décès lui a été annoncé. Il s'est chargé de prévenir ses parents. Le fait que Pascal V. soit spéléologue a nettement facilité le dialogue et la compréhension de la situation (sortie du corps différée).

Ce sont 62 personnes qui ont été mobilisées sur site pour l'opération.

Sur site Dont sous terre En réserve
SDIS38 25 3
Gendarmerie Nationale 6
PGHM 5 2
CRS Alpes 6
Préfecture 2
3SI 16 1 8
ADRASEC38 4

Deuxième phase : la désobstruction de la cavité

Dès le samedi 22 au soir, il apparaît que laisser le corps de Thierry V. au fond du MOTUS n'est pas une option acceptable au sein de la communauté spéléologique. Le dimanche 23, le Président de la 3SI, François DE FELIX, prend contact avec le Procureur de la République et le Directeur de Cabinet du Préfet. Il en ressort que les spéléologues vont devoir prendre à leur charge l'entière responsabilité de l'opération pour restituer le corps de Thierry à sa famille d'une part, et d'autre part que ces mêmes autorités seront très attentives à ce que les moyens de l'État ne soient pas engagés dans cette action. Ce même dimanche, les présidents du Comité Départemental de Spéléologie (CDS 38) et de la 3SI se mettent d'accord : la 3SI prend en charge la responsabilité de l'opération, le CDS 38 prend en charge son coût, en attendant de voir si l'assurance de Thierry V. couvre les frais.

Ce même jour, 4 sauveteurs (2 CRS et 2 PGHM) ont l'autorisation de la Préfecture d'aller au fond de la cavité pour tenter de dégager le corps de Thierry du gros bloc et de le conditionner dans un linceul. Au retour de cette mission effectuée avec succès, ces sauveteurs feront un inventaire précis des difficultés que les bénévoles devront affronter.

Lundi 24 septembre, la 3SI prend contact avec la MAIF. Elle s'assure que l'opération de désobstruction envisagée sera prise en charge par son contrat d'assurance et surtout que les conditions particulières de ce contrat, négociées en 1998 seront bien applicables. L'opération pourra donc avoir lieu. Les spéléologues intervenants seront couverts par leur assurance s'ils sont assurés par la FFS, les autres seront couverts par l'assurance MAIF de la 3SI. Une fois ces points acquis, le responsable « désobstruction » de la 3SI remplit les formalités pour l'achat des matières explosives nécessaires à ce chantier. Ces produits sont disponibles le lendemain matin. Dans le même temps, les responsables de la 3SI lancent un appel à « bonne volonté » par email à destination de tous ses membres. En 2 heures, 70 spéléos sont volontaires pour participer au chantier. Ce nombre augmentera pour finir à 110 volontaires. Parmi eux, un nombre important de sauveteurs professionnels solidaires des spéléologues sont venus sur leur temps libre, conformément aux directives de la Préfecture.

Mardi 25 septembre 2012, le chantier ouvre et les premiers bénévoles montent le matériel, installent le PC au bord du trou et commencent les travaux d'élargissement de la cavité sous les ordres du responsable désobstruction de la 3SI. Ce dernier distribue les explosifs et précise le protocole qui devra être appliqué par toutes les équipes. Chaque équipe comporte au moins un titulaire du CPT (Certificat de Préposé au Tir). En l'absence de Thierry LARRIBE, ce sont les CTDSA François DE FELIX, Lionel REVIL, France ROCOURT et François LANDRY qui gèrent cette opération. Thierry LARRIBE, de retour de vacances, supervisera la fin du chantier à partir du 30 septembre.

Il est décidé dès le départ de tenter de préserver le corps de Thierry et donc de le sortir sur une civière. Cela implique une désobstruction un peu plus importante, mais aussi une manœuvre finale de sortie du corps un peu plus facile et moins traumatisante psychologiquement pour les sauveteurs. Chaque jour, trois équipes se relaient pour élargir les passages étroits, purger des blocs jugés trop dangereux, équiper les ateliers de progression et de secours en vue de la remontée de la civière. Les gaz générés par les tirs d'explosifs nécessitent la mise en place d'une ventilation artificielle. Une ligne électrique 220V est descendue sous terre pour augmenter l'autonomie des équipes qui doivent percer de nombreux trous. Des détecteurs de gaz sont confiés aux équipes pour éviter toute intoxication, principalement au monoxyde de carbone produit par les explosifs. Ils permettront d'évacuer la cavité quelques heures, un jour où le nombre de tirs a été trop important face aux capacités de ventilation. Les bénévoles ont alors attendu à l'extérieur un retour à la normale.

Aucun accident n'a, fort heureusement, été à déplorer. Seul incident : un bénévole a reçu un éclat de roche dans l’œil alors qu'il travaillait avec une massette. L'éclat a endommagé très sommairement sa cornée, un examen médical aux urgences ophtalmologiques du CHU le lendemain a permis de s'assurer qu'aucune suite ne serait à craindre. Ce sauveteur sera de retour sous terre pour l'évacuation le mercredi 3 octobre.

Ce chantier aura duré 8 jours, du mardi 25 septembre au mardi 2 octobre, tard dans la nuit. Il a nécessité les personnels suivants :

Jour Nb de bénévoles Dont sous terre Kms parcourus Temps passé
Mardi 25 14 10 748 126 heures
Mercredi 26 16 9 1135 141 heures
Jeudi 27 18 13 1109 154 heures
Vendredi 28 34 25 1781 289 heures
Samedi 29 31 20 1186 231 heures
Dimanche 30 35 23 1930
Lundi 1er 8 4 1145
Mardi 2 15 9 789 155 heures

150 trous ont été forés dans la roche. 106 détonateurs, 100 mètres de cordeau détonant et 10 renforçateurs ont été nécessaires pour mettre les galeries au gabarit. Les 9 983 kms parcourus par les sauveteurs avec leur véhicule personnel, représentent un abandon de frais de 3 034€. e coût estimé en kilomètres et vacations aux tarifs SDIS est de 15 536€.

Les frais engagés par la 3SI pour remplacer le matériel détérioré et pour couvrir le coût des consommables (explosifs et carburants pour les groupes électrogènes) est de 4 000 €.

Les communications entre le milieu souterrain et le PC de surface ont été réalisées via le système Nicola. Deux postes étaient en place sous terre et un au PC. La qualité des communications était parfaite. Ces liaisons ont consommé une quantité importante de batteries Nicola. Le secteur de la Charmette étant privé de tout réseau GSM, la 3SI a dû mettre en place une liaison radio entre le PC (à côté de l'entrée du Motus) et la base arrière à Grenoble. Cette liaison a été possible grâce au réseau Sécurité Dauphiné. Son président, Joël VEYRET, a proposé une licence gratuite à la 3SI, non seulement pour la durée de cette opération, mais aussi pour les besoins futurs du spéléo secours.

Troisième phase : La remontée du corps

Le mercredi 3 octobre, le chantier de désobstruction étant terminé, l'opération de secours qui permettra la remontée de la dépouille de Thierry VILATTE débute. Le PSS spéléo est déclenché par Monsieur RAMPON, Directeur de Cabinet du Préfet (ce déclenchement ayant été décidé la veille, alors que l'opération était déjà organisée par les bénévoles de la 3SI). Il est donc prévu de maintenir le scénario initial, de limiter l'engagement des moyens matériel et humain du SDIS en surface, de réquisitionner les civils et que les personnels d'État initialement engagés à titre bénévole soient désormais en service. Ce changement de statut juridique est important car il a permis aux sauveteurs requis d'être couverts. Conformément aux dispositions du plan de secours, un officier sapeurs-pompiers devient alors Commandant des Opérations de Secours. M. RAMPON, Directeur de Cabinet du Préfet, vient par 2 fois sur le site au cours de cette journée.

En amont du 3 octobre, dès que les galeries ont été suffisamment larges, les sauveteurs ont commencé à installer les équipements permettant la remontée de la civière. C'est inhabituel en secours spéléologique : normalement, les équipes engagées pour l'évacuation installent leurs équipements respectifs. Cette opération a duré deux jours et a nécessité l'engagement d'une dizaine de personnes. L'évacuation s'annonce complexe. Les galeries sont sinueuses et pour la plupart étroites. Les puits sont souvent étroits au sommet, permettant difficilement le passage de la civière. La géologie des lieux n'est pas en faveur des sauveteurs puisque, sur une bonne partie du trajet, des marnes (roches friables) et des bancs de calcaires fissurés affleurent. D'où la difficulté pour planter des points d'ancrage permettant d'évoluer et d'effectuer les manœuvres de secours en sécurité. Du matériel spécifique a été employé (ancrages plus longs et de plus gros diamètre). Les personnes qui ont posé les équipements secours dans le gouffre MOTUS ont adapté les techniques utilisées habituellement. Là où normalement trois ancrages suffisent largement, quatre voire cinq ont été plantés. Les techniques de remontée ont été modifiées pour que les sauveteurs ne se trouvent pas sous le brancard. Malgré les travaux d'élargissement, la cavité reste resserrée sur quelques passages. Certaines galeries ont à peine une section de 60 cm par 60 cm.

L'évacuation du corps est rendue difficile par la charge émotionnelle de la mission. Thierry V. était connu et apprécié de tous. Le nombre de personnes volontaires pour une mission sur cette opération en est la preuve. Avant le départ des équipes, les règles de sécurité spécifique à la cavité et aux circonstances particulières d'intervention ont été données :

  • Être attentifs à sa sécurité propre et à celle des autres ;
  • Dépasser la civière pour fluidifier la sortie des sauveteurs ;
  • Limiter au maximum le nombre de secouriste placés sous la civière (chute de pierres).

La cavité a été divisée en 6 secteurs distincts, représentant une suite logique d'enchaînements de verticales. Deux personnes choisies pour leurs compétences techniques très pointues étaient désignées comme responsables techniques pour chaque secteur. Leur rôle était de maîtriser parfaitement les montages réalisés par d'autres les jours précédents, de diriger les deux grosses équipes de brancardage lors du passage de la civière. Du personnel est resté en surface pour renforcer le dispositif si besoin. L'évacuation du corps a duré neuf heures : de 9h30 à 18h20. Des pauses ont été faites régulièrement pour permettre aux secouristes de dépasser le brancard.

Cent douze personnes présentes devant la cavité ont organisé une chaîne humaine. Une première dépose du brancard a eu lieu dans une tente au poste de commandement pour un nettoyage sommaire. Le corps de Thierry V. a été porté par ses amis jusqu'au parking de la cabane forestière de Génieux. La civière a été posée dans une tente fournie par les CRS, en attendant sa prise en charge par les pompes funèbres. Plusieurs personnes ont alors pris la parole pour remercier les participants à cette journée.

Les parents, le frère et des cousins de Thierry V. étaient présents au poste de commandement avancé. Ils ont remercié l'ensemble des personnes ayant contribué à la restitution du corps de Thierry V.. La famille a offert un buffet aux personnes présentes.

45 personnes sont allées sous terre :

CRS Alpes PGHM SDIS38 3SI SSF26 SSF07 SSF73 SSF74
4 3 4 19 7 5 2 1

9 membres du Spéléo Secours Isère ont participé à la gestion de l'opération.

Sauveteurs engagés

Sont intervenus sur cette opération d'ampleur :

3SI
Alain FIGUIER Alexandra LATOR Anthony BRIGANT Armel STRIDE Audric POGGIA
Barnabé FOURGOUS Baudouin LISMONDE Bernard BAUDET Bernard LEPRETRE Caroline CURFS
Cécile PACAUT Cécile SOULEAU Cédric LACHAT Charles BUTIN Chloé Noël
Christian HUBERT Claire MAGNIN Clémentine EYMERI Cyrille MATHON Daniel LARRANG
David FAISANDIER Élise DUBOUIS Émilie REBREYEND Emmanuel CARRIER Emmanuel GONDRAS
Emmanuel VITTE Éric LAROCHE-JOUBERT Éric SIBERT Fabien LEGUET Florian PIAT
France ROCOURT François DEFELIX François LANDRY Frédéric BEDON Frédéric POGGIA
Gilles PALUE Grégoire DEBODINAT Isabelle THOMAS Isadora GUILLAMOT Jean BRUN
Jean-Jacques DE JONG Jean-Louis BRET Jean-Louis DABENE Jean-Marie SEILER Jérémie QUERTIER
Kevin EVEN Laura BONNEFOY Laurent GOETZ Laurent HYVERT Laurent MESTRE
Laurent MINELLI Lionel REVIL Martin GERBAUD Martine GAZELLE Mathieu THOMAS
Maud GUINARD Olivier DUTEL Olivier GUILLE Pascal GUILLERMIER Pascal GUINARD
Pascal ORCHAMP Patrice MEYER Patrice ROTH Philippe CABREJAS Pierre-André FIXOT
Pierre-Bernard LAUSSAC Pierre GARCIN Pierre METZGER Sébastien CHANTEPIE Serge CAILLAULT
Serge LOAEC Sylvain AMOLINI Thierry GUERIN Thierry LARRIBE Tristan GODET
SSF07
Stéphane TOCINO Yanis RUNG Lionel RIAS
Sébastien ROCHEL Christophe LONGIN
SSF26
Stéphane ROBERT David BIANZINI Laurent BENOÏT Loïc BONNEL
Stéphane EMMER Pierre-Yves BELETTE Stéphane VERDOT Jean-Philippe ROUX
SSF74
Fabien MULLET
SSF73
Olivier PARSY Emmanuel TESSANNE
GRIMP
Sylvain EMERY Jean-Pierre LEGER Pierrick GERVAIS Arnaud MATRAY
Christophe DUSFOUR David BRUNEL Xavier DUCLOS Sylvain RENARD
S. BECQUET Bertrand PETIT Jérôme ROBERT
PGHM-GSGN
Pierrez DUPUIS Stéphane LAOUT Florent MERLET
CRS Alpes
Jean-Baptiste BOIS Benjamin VALLA
Ali KRIM Lionel CHATAIN
ADRASEC38
Claude GIRY

Épilogue

Dans un courrier en date du 12 octobre, le Préfet de l'Isère félicite les Conseillers Techniques et les membres de la 3SI pour leur action notamment au Motus.

Témoignage

En 2013, dans le n°2 de 3SI info, François de FELIX et Thierry LARRIBE ont livré leur témoignage de cette opération. Ils sont reproduits ci-dessous.

Témoignage de François DE FELIX

« Imaginez la scène : 80 personnes qui forment une haie d'honneur dans le calme et presque le silence, puis l'attente qui dure un peu. Chacun discute avec ses voisins, sur les côtés et en face, mais pas trop fort, le moment est grave et empreint de dignité. Et voilà que cela s'agite devant l'entrée du trou. « Traction...lente ! » « STOP traction ! » et ainsi de suite. Jusqu'au moment tant attendu. Cela fait 12 jours que Thierry V. est décédé au fond du Motus, et là, enfin et attendu par un si grand nombre de gens, il sort. La civière va parcourir les quelques mètres jusqu'au PC, de bras en bras, c'est vraiment un moment chargé de beaucoup d'émotion.

Ses copains d'explo sont là, les membres de son club, les spéléos et bien sûr, sa famille. Cela fait plusieurs jours que je côtoie les membres des proches de Thierry. J'ai une pensée pour eux. Cela doit être très dur, mais quel soulagement aussi. Thierry est enfin dehors. Mais que la route fut longue pour en arriver là...

Tout a commencé pour moi par un déménagement. Vendredi 21 septembre, j'arrête le boulot un peu tôt pour me rendre à pied aux Eaux Claires aider Gilles et Chris à déménager. Il est 18h20 quand j'arrive sur place. Les cartons ont déjà colonisé une voiture. Je salue les présents lorsque mon téléphone sonne. C'est Enzo, qui commence par me demander si je suis chez moi. Non, je n'y suis pas, mais je ne suis pas loin, pourquoi ? « On a une alerte pour un spéléo très probablement décédé à -150 en Chartreuse. N'ai pas beaucoup plus d'éléments pour le moment. ». Merde. Je plante aussi sec Gilles et ses cartons et rentre chez moi au pas de course. Au passage, je croise Pascal GROSEIL qui venait lui aussi aider au déménagement. Je l'informe de la nouvelle, c'est le président du CDS après tout. Puis j'appelle Thierry LARRIBE. Il est dans le train qui le ramène chez lui, on se rappelle quand nous sommes chacun chez nous.

Le temps d'arriver chez moi, j'apprends, je n'ai plus le moindre souvenir comment, que la victime n'est autre que Thierry V., notre Bronto. Merde. Ils étaient 3 et Vincent est toujours aux cotés de Thierry, qui lui est sous un bloc énorme. La cavité m'est inconnue, le Motus, sur Génieux. C'est étroit et péteux, c'est Génieux quoi... La procédure d'un secours prend vite le dessus et c'est tant mieux, ça évite de gamberger. Avec Thierry et Enzo, on se sépare les taches, car il faut prévenir tout le monde : Préfecture, CODIS, SAMU, secours en montagne, Éric LAROCHE-JOUBERT pour les explosifs, mettre des artificiers en pré-alerte, etc... Il est très vite décidé que pendant qu'Enzo va rester chez lui en « base arrière », Thierry LARRIBE, Lionel REVIL et moi, nous montons. Caro me rejoindra avec le « camping-car » pour faire PC spéléo.

J'arrive au Col de la Charmette en bon dernier. Je suis passé au local 3SI charger la voiture de trucs « au cas où ». Les choses sont bien avancées, Thierry et Lionel sont là, le directeur de cabinet du préfet aussi. Les choses vues avec lui la semaine dernière au Blizzard se remettent en place naturellement. Pascal GROSEIL est là, en spéléo, ainsi que plusieurs FJS. La mauvaise nouvelle c'est les communications. Aucun téléphone mobile ne passe au PC, nous sommes coupés du monde et surtout de notre « base arrière ». Il faudra, plus tard, que Tristan GODET et moi prenions une voiture pour aller téléphoner pour passer des infos à Enzo, à France ROCOURT.

Au PC, la stratégie est simple : une équipe va se constituer et partir sous terre avec pour mission, faire le contact avec Bronto et Vincent, confirmer le décès et remonter. 2 topos de la cavité sont affichées au PC. L'une avec les zones étroites, l'autre avec les zones péteuses. Aïe. On sent bien que cette description ne rassure pas les autorités. En attendant des nouvelles de l'équipe sous terre, Thierry appelle le frère de Bronto pour lui annoncer que son frère a eu un grave accident. C'est très dur. Nous sommes plusieurs à tenter de soutenir Thierry par notre seule présence. Je me sens bien inutile...

L'équipe engagée sous terre confirme le décès de Thierry V.. Ce n'est malheureusement pas une surprise. Une fois cette équipe ressortie, avec Vincent, le secours est déclaré terminé par le directeur de cabinet du préfet, qui fait un petit discours. Le temps de tout remballer, de beaucoup discuter et nous rentrons tous. Caro et moi sommes à la maison à 3 heures du matin. Nous n'avons pas envie de dormir et le lendemain nous partons en week-end familial en Auvergne...

Au petit matin Thierry LARRIBE est parti en vacances. Il le fallait, avec des problèmes de famille, de boulot et ce secours, il est lessivé. Son départ était prévu de longue date, il va en profiter pour bien se reposer. Nous, nous partons en Auvergne en milieu de journée. Le téléphone sonne souvent, j'en arrive même à faire une interview téléphone sur une aire d'autoroute ! Nous arrivons à Brioude en fin d'après-midi. Demain dimanche, une équipe PGHM/CRS va au contact avec Bronto pour tenter de le débloquer, de « conditionner » le corps et le mettre à l'abri des chutes de pierre et des éventuelles crues. J'appelle Florent MERLET pour le remercier et pour lui demander, au retour, de nous faire un état des lieux très précis de ce qu'il faudrait faire pour sortir Thierry. Cela devrait nous éviter un aller-retour au fond.

Il n'y a aucune raison à mon sens pour qu'une opération de désob pour récupérer Thierry ne soit pas réalisable. C'est complètement dans le cadre des compétences des spéléos et je suis certain que nous aurons le nombre nécessaire pour mener à bien cette action, quitte à faire appel à nos voisins. J'appelle donc Pascal GROSEIL et lui soumets ma vision des choses : c'est le CDS qui doit être à l'initiative de cette action, et la 3SI devrait, à mon avis, en être le maître d'œuvre. Cela semble être OK pour Pascal. Nous parlons sous ensuite et après consultation rapide du bureau du CDS, les finances estimées nécessaires sont là. Voilà une question de réglée, vite, et bien. Le reste du week-end je le passe au téléphone : Journalistes, SSF national, CDS, 3SI. Le dimanche midi une journaliste de France 3 m'informe que le Procureur a « mis le corps de Thierry à disposition de sa famille ». En clair, ça veut dire qu'il ne fera rien pour aller le chercher. J'appelle la permanence du parquet qui me confirme. Sur l'autoroute du retour, nous avons des nouvelles de Flo MERLET : mission réussie, Bronto est débloqué et à l'abri. J'en informe de suite le directeur de cabinet du Préfet comme cela était prévu. Nous arrivons 15 minutes en retard à France 3 pour une interview vite faite.

Le lendemain lundi c'est la journée qui me met en colère. Pour commencer la journée je rappelle le Procureur pour me faire confirmer sa décision. Il m'explique qu'étant donné que les circonstances du décès sont claires, il n'a pas pouvoir pour organiser la sortie du corps. Motivé, j'appelle le directeur de cabinet du Préfet pour lui soumettre l'idée de lancer une opération bénévole pour sortir Thierry. Nous demandons l'aide de l'État principalement pour que toute personne qui entre au Motus pour travailler sur ce futur chantier soit couverte par le statut de « collaborateur occasionnel de l'État », statut que lui procure une réquisition, même si cette dernière est hors plan de secours. J'insiste bien sur le côté bénévole de cette action. Et là c'est la douche froide. Glaciale. Non, il est hors de question que l'État couvre cette opération mais en plus, monsieur le directeur sera très attentif à ce que les moyens de l'État ne soient pas engagés sur cette opération. Précision à destination des sauveteurs professionnels. J'essaie de comprendre sa décision et surtout d'argumenter. En fait, cette décision m'apparaît très vite comme étant prise depuis vendredi soir, probablement à cause des topos avec les zones « péteuses » et les zones étroites mises en évidence. Après 20 minutes de conversation, je raccroche et encaisse. Avant cet appel je ne m'imaginais pas vraiment que cette opération puisse se faire sans la protection de l'État. C'est tellement systématique en cas de secours, cela fait 42 ans que la 3SI travaille pour l'État. C'est pour moi l'incompréhension totale.

C'est à ce moment que je prends conscience d'un « détail » que je n'avais pas vu venir. Cette opération va avoir lieu, c'est indéniable, c'est juste qu'au lieu d'être sous la responsabilité de l'État, elle va l'être sous celle de Zézeil et de moi... Bref, du coup l'étape suivante c'est l'assurance, car il va bien falloir que tout le monde soit assuré. C'est au troisième interlocuteur MAIF que j'aurais la confirmation que cette opération rentre bien dans le cadre de notre contrat. Ouf ! C'est le feu vert.

François LANDRY et moi rédigeons un email à destination de tous les spéléos du département. Il permettra à chacun de contacter François pour dire quand il est disponible. C'est donc François qui prendra en charge la confection du planning des équipes. C'est une tâche compliquée et que nous avions sous-estimée. François croule sous les appels et les emails dont un certain nombre sont si émouvants que c'est en pleurs chacun de notre côté du téléphone que nous en discutons.

De leur côté Éric LAROCHE-JOUBERT et Guy FERRANDO font les courses. Ils achètent le nécessaire pour commencer le chantier. En fin de journée nous avons la confirmation : le PC Motus ouvre ses portes demain, mardi, au matin ! C'est une grande victoire. Le chantier va pouvoir commencer et ce dans de bonnes conditions.

Mardi matin tôt, alors que j'essaie de combler un peu mon retard naissant au boulot, le PC au bord du Motus s'installe. Il est prévu que France et Lionel REVIL en fasse la permanence pour commencer. C'est super de savoir qu'ils sont dispos toute la semaine. François LANDRY a fait le planning jusque la semaine prochaine, il a plus de 100 volontaires. La famille spéléo se bouge et ça fait du bien au moral. J'informe nos amis Gendarmes, Policiers de la CRS et Pompiers de la remarque du directeur de cabinet sur les « moyens de l'État », je n'avais pas eu le temps de le faire la veille. Ils ne comprennent pas et m'assurent qu'un nombre important de sauveteurs viendra, quitte à ce que cela soit sur leur temps de repos. Nous verrons effectivement un nombre important de Gendarmes, CRS et Pompiers venir sur ce chantier. Ça aussi, ça fait un bien fou au moral.

Nous communiquons entre le PC Motus et Grenoble par le biais du réseau radio du secours en Montagne, grâce à France et au président de l'association Sécurité Dauphiné qui entretient le réseau de « la 150 ». Cela nous soulage énormément, je ne vois pas comment nous aurions pu faire sans cette liaison. Un problème résolu ! L'autre problème au Motus c'est bien sur le courant d'air. Il n'est pas fabuleux pendant cette période, mais il a le mérite d'exister. Il permet de travailler dans de bonnes conditions. A priori il n'y a qu'une demi-journée où le chantier a été évacué car gazé. Plus la désob avance et moins il y a de courant d'air. La ventilation mise en place par Éric et Guy fonctionne pas mal, mais ne va pas au fond. Il faudra donc utiliser les explosifs avec parcimonie au fond.

Globalement, tout se passe bien et le chantier avance très vite. Les équipes sont motivées, super compétentes et du coup personne ne se met en danger. Sur les 8 jours de chantier nous aurons à déplorer un incident. Pascal ORCHAMPT a pris un éclat de roche dans l'œil en jouant de la massette. Sa cornée est touchée mais cela va se réparer assez vite et sans séquelles. OUF ! Le week-end est là. Cela fait déjà quelques temps que nous sommes sur le pont et la fatigue commence à bien se faire sentir. Nous vivrons alors quelques épisodes loufoques concernant le matériel. On en rit maintenant, sur le moment, ça énerve passablement. Entre autres les histoires de forets pour les éclateurs ou encore de linceul perdu, retrouvé, re-perdu, etc… La bonne nouvelle avec le week-end, c'est le retour de Thierry. Il va arriver frais comme un gardon et va avoir un regard tout neuf sur cette affaire. Nous avons bien sûr gardé le contact, nous discutons des avancées chaque soir depuis le début, mais il va pouvoir se rendre compte par lui-même. J'espère secrètement pouvoir lever le pied et attaquer mon retard au boulot. Cela ne va pas être si simple, mais c'est pas grave...

Le lundi matin Thierry est sur place et descend sous terre. À son retour, nous fixons la date pour l'évacuation. Ce sera mercredi 3 octobre. Les équipements de secours seront mis en place en avance, pour que le jour J il n'y ait plus qu'à tirer la civière. Mardi soir, une équipe mixte CRS/PGHM retourne au fond pour installer Thierry VILATTE dans un linceul robuste puis dans la civière. En réunion de CDS le soir même nous faisons le point avec tout le monde sur l'avancée du chantier. Les spéléos réfléchissent à quelle action entreprendre pour dénoncer l'abandon de l'État. La solution choisie est de faire un courrier au Préfet par le CDS.

Le mardi c'est le coup de théâtre. Thierry croise Monsieur le directeur de cabinet du préfet dans les couloirs de son boulot. Il lui fait part de la sortie prévue le lendemain et du sentiment d'abandon qui habite la communauté spéléo. Le directeur décide alors de placer la sortie de la civière sous l'égide de l'État en déclenchant le plan de secours, tout en laissant la 3SI maintenir le scénario prévu. Même si c'est une bonne nouvelle dans l'absolu en particulier pour tous ceux qui vont intervenir le lendemain, je ne peux m'empêcher de trouver cette décision un peu tardive… Le soir, en lieu et place de la réunion du conseil d'administration de la 3SI qui était initialement prévue, nous faisons une réunion pour finir de préparer l'opération du lendemain. Lionel a constitué les équipes dans la journée et nous expose son plan. Avant cela Thierry nous a fait une petite déclaration très émouvante sur son absence et sur sa fierté de voir que tout fonctionne bien et sans heurts. Ce con me ferait presque pleurer ! Bref, on passe au lendemain. Des Ardéchois et Drômois ont été appelés à la rescousse. On a peur que les troupes soient un peu juste pour le lendemain. Personnellement, suite à cette réunion, je me déconnecte complètement. Ce n'est pas que je m'en fous, c'est juste que d'une part je suis crevé, d'autre part, demain, c'est la dernière échographie pour Caroline et le petit machin qui gigote dans son ventre prend le dessus.

Le lendemain matin est du coup assez calme pour moi. Quelques coups de fil de journalistes en début de matinée, puis nous partons à notre rendez-vous. J'éteins mon téléphone, j'ai encore le secours en tête dans la salle d'attente, puis après je zappe complet. Le bébé va bien, sa mère aussi, c'est trop bien. À la sortie, le secours reprend le dessus. Nous montons avec Caro pour arriver à la Charmette vers midi. En surface, il ne se passe plus rien bien sûr. Je prends des nouvelles mais toute la journée se passe comme si j'étais un peu étranger à tout ça. C'est une sensation étrange. Je discute avec tout le monde à l'entrée du trou, et du monde il y en a. Et les spéléos commencent à sortir au compte-goutte. Puis la civière sort.

Nous nous retrouvons tous en bas, au Col, avec Bronto. Nous faisons quelques discours, je ne me souviens plus de ce que j'ai pu dire. Je me souviens juste de l'émotion. La famille de Thierry a prévu de quoi boire et manger, c'était vraiment très sympa. Pendant que tout le monde attaque le buffet, je pique un couteau à un spéléo et vais aider à détacher les liens qui entourent le corps de Thierry pour permettre aux PFI de l'emmener. Thierry disparaît mais je ne lui ai pas vraiment encore dit au revoir. Je sais que j'irai aux obsèques.

La nuit tombe. On va rentrer. Lionel, François, France et Jean-Louis, Tristan et Émilie, Caroline et moi, nous nous retrouvons dans un restaurant sur la rocade. On passe un bon moment, on décompresse tous, avant de rentrer chacun de notre côté.

Nous avons passé 12 jours complètement irréels, nous sommes fatigués. Mais la compétence des spéléos, aussi bien sous terre qu'en surface, est venue à bout de ce défi. Tous ensemble, civils ou secouristes professionnels, nous avons fait notre devoir. Je ne me risquerai pas à parler pour les autres, mais pour moi, ce qui reste de tout cela c'est la tristesse, la fierté et la colère. Tristesse de voir un collègue partir, tristesse pour ses amis et sa famille aussi, colère bien sûr face au sentiment d'abandon par les pouvoirs publics mais aussi fierté d'avoir fait le nécessaire et de ne pas avoir mis des spéléos en danger, fierté de faire partie de cette famille spéléo qui partage de belles valeurs. »


Témoignage de Thierry LARRIBE