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Gouffre Berger
11 juillet 1996
Année 1996
Date 11/07/1996
Massif Vercors
Département Isère
Nombre de Victimes 6
Durée Plus de 4 jours
Nombre de Sauveteurs 299

Le contexte

Le 1er groupe

William S. (G.B.), Nicola D. (G.B.) et Käroly T.(H.) entrent dans le gouffre Berger samedi 6 juillet 1996 entre 13 et 14 heures. Ils arrivent au camp 1 (-500) vers 19h00-19h30 où ils passent la nuit après un repas. Ils repartent dimanche 7 juillet vers 9h30 avec comme objectif le fond et remonter. La descente se fait sans difficultés. Arrivés en haut du puits de l'Ouragan (-975), Nicola, fatiguée, reste en haut du puits. William et Käroly descendent et s'arrêtent au camp des Étrangers à -1075 où ils font demi-tour et entreprennent la remontée, il est environ 16h30.

Käroly remonte en tête, suivi de Nicola et William. L'équipe croise les Hongrois de la deuxième équipe, en train de descendre, vers la Vire-Tu-Oses (-950). À ce moment-là, William prend la tête du groupe suivi de Nicola et Käroly. La progression ne devait guère être rapide, Nicola étant fatiguée. Ils ont vue sur l'actif (rivière) au bas du Grand Canyon et ne remarquent pas de hausse de débit particulière. La progression continue.

Attaque de la Cascade des Topographes par William. Arrivé en haut, Nicola monte suivi de Käroly. William remarque que la corde était très près du niveau de l'eau dans la cascade. Il s'arrête au dernier amarrage pour attendre Nicola. Après dix minutes d'attente, et constatant une augmentation du débit, il angoisse en ne voyant pas les deux autres arriver. Puis il entend un cri de Käroly. William revient sur ses pas, aperçoit Nicola bloquée à la rupture de pente Toboggan-Cascade qui lui dit « j'ai un problème ». Constatant sa difficulté de progression, il lui conseille de s'aider en mettant son bloqueur sur la corde de la main courante.

Malgré cette précaution, elle n'avance plus. L'eau montant alors très vite, William crie à Nicola de vite redescendre. Le temps d'entreprendre sa descente, l'eau est à la hauteur de sa poitrine. La forte poussée exercée alors, l'empêche de débloquer sa poignée. William fait alors demi-tour et a lui-même de grandes difficultés pour s'extraire du flot. En se retournant, il ne voit plus sa camarade. Par deux fois, l'eau montant, il doit se réfugier plus haut sur des épaulements rocheux. Ceci se passe entre 21h30 et 22h00.

Käroly, de son côté, essaie de l'aider en coupant la corde de la main courante, mais peine perdue. Nicola est entièrement recouverte par l'eau. Il la voit glisser. Lui-même doit vite se dégager et redescendre se mettre à l'abri un peu plus bas. L'accident se produit vers -730 environ, dans la cascade des Topographes.

Le 2ème groupe

Il est composé de Zsolt M., Miklos N. et Istvan T., tous trois Hongrois. Ils entrent dans le gouffre samedi 6 juillet 1996 entre 19h00 et 19h30. Ils arrivent au camp 1 (-500) vers minuit, où eux aussi vont dormir après un repas. Ils partent le dimanche 7 juillet vers 13h30. Objectif : le fond et déséquipement.

Ils descendent sans difficulté et croisent la 1ère équipe vers la Vire-Tu-Oses. Arrivée à -1075, au camp des Étrangers, constatant l'important débit de la cascade en rive droite (Rivière -1000) barrant la galerie, et l'un d'eux n'étant pas équipé de combinaison néoprène, ils font demi-tour et remontent en déséquipant. Le passage de la « Baignoire » n'étant pas encore amorcé, ils arrivent au bas de la grande cascade de 27 mètres. Istvan est en tête suivi de Miklos et Zsolt. Pour eux, le débit d'eau au pied de cette cascade n'est pas jugé encore trop alarmant.

L’équipe arrive en haut de la cascade de 27 mètres. Zsolt, qui est le plus aguerri, prend la tête du groupe. Il entreprend en vain la remontée de l'obstacle suivant appelé le ressaut du Singe, haut de 10 mètres. Trop d'eau. Il décide de redescendre. Istvan commence alors sa descente et se fait piéger.

Miklos, voyant le danger, se longe rapidement sur l'amarrage intermédiaire. Son camarade Zsolt le rejoint et se longe également sur le même amarrage. Ils sont tous deux accrochés à la main courante lorsqu'ils voient monter l'eau d'environ 1,50 mètre. Istvan est hors de vue, caché sous la cascade.

Ils restent ainsi accrochés par leurs baudriers et la pédale de bloqueur environ 30 heures à la cote -915. L'eau ayant baissé, ils s'installent sur un bombement pour ensuite attendre encore environ 15 heures. Zsolt essaie de remonter mais échoue, il y a encore trop d'eau. Après une nouvelle attente de 5 heures, ils peuvent enfin installer une corde de secours et descendre la cascade de 27 mètres. Ils aperçoivent au passage leur camarade Istvan, mort sur la corde, sous la cascade, et ils se mettent à l'abri un peu plus bas dans une zone pas très confortable, où les secours les trouveront très affaiblis, en hypothermie.

L'opération de sauvetage racontée par Albert OYHANÇABAL

Lundi 8 juillet

« Dès le lundi 8 juillet 1996 à 20h45, Paul MACKRILL, spéléologue anglais, sauveteur SSSI, chercheur au synchrotron et habitant Lans-en-Vercors, me signale la présence dans le Gouffre Berger d'un groupe d'Anglais et Hongrois, faisant partie de l'expédition du « Oxford University Cave Club », club ayant une autorisation d'explorations du 1er au 10 juillet 1996. Ce groupe est formé d'une première équipe de trois personnes : un Anglais, une Anglaise et un Hongrois et d'une deuxième équipe de trois Hongrois. Objectif du groupe : le fond du gouffre à -1122 mètres et remontée en déséquipant, le bas devant être déséquipé par l'équipe hongroise. Sortie prévue en matinée ce jour (8 juillet).

Ce même jour, une équipe de cinq Anglais s'est engagée au matin dans le réseau pour aller aux nouvelles. Un peu inquiets compte-tenu des très fortes précipitations se déversant sans discontinuer sur zone entre le dimanche 7 juillet 16h00 et lundi 8 en fin de matinée. J'ai vérifié : il est tombé non pas, comme prévu par la météo, 80mm, mais 240mm.

Cette équipe est revenue au gîte à Autrans vers 20h00, indiquant les plus grandes difficultés de progression dans les premiers puits très arrosés, et l'impossibilité de dépasser la cote -250. Un véritable torrent déferlant dans la Grande Galerie (rivière de la Boue).

Après un point sur les effectifs anglais disponibles, je demande aux autres de se reposer pour être sûrement engagés le lendemain. Consignes données à tous : envoi dès demain matin mardi 9 juillet, d'une équipe de reconnaissance et soutien (avec nourriture, carbure, duvets) de quatre hommes. En prévoir une autre suivant peu après, surtout ne rien tenter avant, le réseau est encore en charge. Je fais part au chef d'expédition que la SSSI les prend sous la couverture assurance de spéléologue secours et sont placés sous l'autorité du CT et des CTA. »

Mardi 9 juillet

« La journée commence par la prise de la météo du jour. Le bulletin indique : « pas de précipitations significatives, vent de Nord, tendance à l'amélioration ». Dès 7h00, j'appelle au gîte pour donner les consignes, réveil et gros repas. Vers 11h30, la première équipe de reconnaissance entre dans le gouffre avec à sa tête Paul MACKRILL.

Après avoir transmis les informations dont je disposais à la Préfecture, j'appelle le CODIS pour leur communiquer ces informations tout en leur demandant de ne pas inscrire cela dans la main courante pour éviter la presse. Ensuite débutent les pré-alertes des effectifs SSSI. Luc SAUVAJON, CTA, se rend au CODIS pour réguler tous les appels.

Vers 14h00, je me rends au gîte « Le Château » à Autrans et questionne plus en détail les spéléologues anglais, Graham NAYLOR traduisant, notamment sur le « timing » des « attardés ». Il s'agit donc d'un groupe de six, entrés dans le gouffre samedi 6 juillet en début après-midi. Après une nuit passée au camp 1 cote -500, la première équipe devait entamer la descente vers le fond vers 11h le dimanche 7 juillet. La seconde vers 12-13h. Première arrivée prévue au fond vers 15h00. La seconde arrivée prévue au fond vers 18h00.

Ce dimanche sur le secteur, les précipitations ont commencé à 16h00 allant crescendo. Ce qui veut dire, connaissant bien les colères de ce gouffre, le lapiaz de surface sans rétention possible de l'eau qui s'engouffre aussitôt, la verticalité du réseau, que ces six spéléologues vont se faire surprendre en remontant par une onde de crue, dans les parties les plus dangereuses. Une fois engagés dans cette zone, il n'y a pas d'échappatoire.

La première équipe de reconnaissance ressort vers 22h20. Personne au camp 1 à -500, vérifications jusqu'aux Couffinades cote -640 : Personne. Demi-tour et sortie, sauf Paul MACKRILL et Tony WHITE qui continuent avec un complément de matériel. Les eaux sont hautes.

A 23h30, Paul MACKRILL rend compte par téléphone de la situation : Lui et son co-équipier sont ressortis, les Couffinades passent tout juste, la rivière est très grosse, les cordes sont sous l'eau, certaines sont détériorées. Ils ont été contraints de faire demi-tour. L'équipe 2 reste sous duvet au camp 1. Elle retournera voir le niveau d'eau vers 6h00 mercredi 10 juillet et poursuivra la progression. Il faut dès à présent prévoir de quoi réchauffer individuellement les attardés. »

Mercredi 10 juillet

« À 5h55, j'informe Graham NAYLOR, étant sans nouvelles, que je passe comme prévu en phase d'alerte. Le plan de secours est alors déclenché. Je demande les moyens appropriés pour monter un PC à la Molière. Par téléphone, je demande à Paul MACKRILL de dire aux Anglais de bien se reposer, ils seront probablement intégrés aux équipes SSSI. Dans la foulée, nous mettons en alerte les gens de l'ADRASEC, leurs compétences et dévouement seront indispensables dans ce secours. La crue de la Bourne, ayant coupé la route sortie des gorges, oblige à un long détour par le plateau d'Herbouilly. Dès 12h le PC est opérationnel, l'accueil des équipes également. Pour la confidentialité de certains messages vers les autorités, il est décidé de passer par le réseau SAPHIR de la Gendarmerie. Rapidement, un renfort médical installe une tente et un point chaud au camp 1 à -500.

Dès 15h00, engagement d'une équipe de la Croix-Rouge pour la logistique de surface, dont la mission sera le ravitaillement et la préparation des repas. Cet ensemble sera opérationnel dès 17h00. Durant toute l'opération de secours, ces bénévoles furent d'un dévouement sans faille, doublé d'une grande gentillesse. Les rotations d'hélicoptère commencent avec à son bord des équipes mixtes Anglais/SSSI. À cet effet, deux DZ sont mises en place, une à la Molière, l'autre à quelques mètres de l'entrée du gouffre.

Les premières équipes entrent sous terre. Une liaison bifilaire est de suite installée jusqu'à -620, chaque équipe partant sous terre avec un Généphone. Certaines équipes sont composées de spéléologues dotés d'un certain sang-froid, surtout l'équipe 1, de recherche, qui est engagée dans le réseau à 13h30.

C'est le Capitaine VALICH de la CRS Alpes qui gère les rotations de l'hélicoptère. Il est arrivé à 12h30 et a mis à disposition des sauveteurs CRS. À 11h50, la Gendarmerie met en alerte le PGHM d'Oloron-Sainte-Marie pour enquêter (le PGHM de Grenoble n'avait pas à cette époque l'agrément pour enquêter en milieu souterrain).

À 18h54, un message nous parvient du camp 1 à -500. Une équipe anglaise a trouvé la première équipe attardée. Il y a une jeune Anglaise décédée (Nicola D.) et ses deux compagnons (William S. et Käroly T.) sont dans un état d'épuisement avancé. Ils sont à la Cascade des Topographes, à -740. Pas de nouvelles de la seconde équipe perdue. Dans le même temps, nous voyons affluer les spéléologues de la SSSI au PC. Consigne leur est donnée d'aller se reposer et de se préparer à intervenir le lendemain, jeudi, rendez-vous au PC dès 8h00.

À 23h50, arrivée d'un message de l'équipe SSSI n°1. Ils ont fait la jonction avec l'équipe des Hongrois. Il y a un décédé sur corde dans une grande cascade de 27 mètres (Istvan T.). Miklos N. et Zsolt M. sont en vie mais en hypothermie. Message transmis aux autorités par SAPHIR (Gendarmerie). »

Jeudi 11 juillet

« Engagement des équipes disponibles avec des missions bien précises et des consignes strictes concernant les décédés : ne pas toucher aux corps pour les besoins de l'enquête. L'équipement de la cavité est entièrement refait. Au fur et à mesure des besoins, vêtements secs et approvisionnements sont descendus, générant à partir de cet instant des vas et viens importants dans la cavité.

William S. et Käroly T, aidés et réconfortés, remontent au bivouac médical de -500, tandis qu'un autre médecin accompagné d'une équipe renfort se rend à -900 auprès des Hongrois, suivis par une forte équipe ayant pour mission :

  • Équipement de la partie aquatique après purge du matériel détérioré par la crue
  • Escorte par un autre groupe des épuisés bien requinqués par le médecin et un bon repos au bivouac à -500.
  • Remontée vers la sortie.

Devant l'ampleur de l'opération, nous demandons des renforts de la Drôme.

À 16h30 arrivent au PC les Gendarmes du PGHM d'Oloron-Sainte-Marie. Sachant qu'ils sortaient directement de quelques explorations en Espagne dont un -800 dans le Picos, je les oblige à aller se reposer avant d'être engagés le lendemain matin. À la demande du médecin, le matériel médical de -500 est transféré à -900.

À 23h25, nous recevons le message signalant les deux victimes de -900 comme étant perfusées et alimentées, mais trop faibles encore pour commencer la remontée. »

Vendredi 12 juillet

« 06h36 : William S. sort du gouffre avec son escorte.

10h00 : Une équipe CRS/Gendarmes OPJ est engagée sous terre, avec pour mission de faire les constatations officielles et d’emballer les victimes décédées.

12h00 : la Préfecture arrive sur le site.

12h10 : Käroly T. sort du gouffre à son tour, accompagné de son escorte. Dès leur sortie, les rescapés sont acheminés avec leur médecin sur l'hôpital de Grenoble par hélicoptère. La Drôme est engagée pour le portage de la civière depuis -900.

18h00 : Après constat par les deux OPJ, les CRS ont emballé les corps et commencé à les remonter. Mise en alerte du Spéléo-Secours du Rhône pour 8h00 au PC samedi. »

Samedi 13 juillet

« Nous demandons la mise en alerte des Spéléo-Secours de Savoie et Haute-Savoie, avec rendez-vous au PC à 14h. Pendant ce temps, les CRS et Gendarmes sont toujours en train de remonter les corps des deux décédés. L'équipe drômoise, quant à elle, a fait la jonction avec le Hongrois Zsolt M., qui, bien rétabli, se déplacera hors civière. Par contre, Miklos N., moins chanceux, souffre beaucoup, et devra être acheminé sur civière depuis -900.

Afin de ne pas gêner l'accompagnement et le portage civière et surtout de sortir au plus vite, l'équipe CRS laisse passer le cortège, mettant les corps hors du regard sous la cascade Claudine. Cette équipe fera étape à -500 avant de ressortir.

À 6h50, Zsolt M. sort du gouffre avec toute l'équipe. Il est évacué vers l'hôpital par DRAGON à 7h45.

Réception d'un bilan concernant la dernière victime vers 11h00. Son état est stationnaire, il aide même dans certaines manœuvres, mais il est très handicapé par ses pieds très enflés. Son médecin demande l'envoi d'antalgiques. Les renforts demandés arrivent au PC. Douze hommes, dont le CT, sont arrivés de Savoie. Ils sont engagés aussitôt pour mettre en place des équipements en double de -250 à l'entrée. Les CRS et Gendarmes sont relevés par une autre équipe CRS (16 hommes) engagée dès la sortie des premiers. Quant aux médecins engagés, ils sont eux aussi relevés au fur et à mesure des missions.

À 17h00, l'équipage de DRAGON demande à ce que la DZ du gouffre soit plus largement dégagée. Les sapeurs-pompiers abattent alors quelques arbres pour agrandir la DZ existante.

À 17h30, l'équipe du fond est à la Cascade des Topographes et annonce son intention de continuer sans interruption jusqu'au Vestiaire à -620, au vu du bon moral de la victime. Ils demandent l'envoi urgent de vêtements secs pour cette dernière. Les renforts de Savoie, Haute-Savoie et Rhône, bien organisés, équipent les puits et déséquipent depuis -900. Envoi de renforts SSSI dans les puits pour renforcer les savoyards. »

Dimanche 14 juillet

« À 00h25, la civière quitte le camp 1 -500.

À 06h15, le corps de Nicola D. est au Vestiaire, celui de Istvan T. est à la Cascade Claudine. Nous demandons alors des renforts de l'Ardèche et de l'Ain.

À 15h00, nous faisons le point de la situation avec le Directeur de Cabinet sur le site du PC.

À 15h20, Miklos N. sort du gouffre avec l'équipe. Pour le moment, les efforts ont surtout porté sur la phase d’évacuation des victimes vivantes. La deuxième phase concernant les décédés demande un renouvellement des équipes. Beaucoup de spéléologues quittent le site très éprouvés, ou ne pouvant plus se permettre des pertes de journées. Les équipes sont relevées par la SSSI, les CRS et le GRIMP. »

Lundi 15 juillet

« Toute la nuit, le transport des corps continue, pendant que d'autres équipes commencent l'évacuation du matériel venant du fond.

À 11h07, l'équipe avec le corps de Nicola D. sort du gouffre. Activation des alertes auprès des spéléologues SSSI et Drôme. Les CT 26 et 74 sont au PC et aident à la mise au point des équipes à venir et des missions respectives pour mardi 16. Le CT 74 dirigera sous terre le brancardage, pendant que la progression continue jour et nuit.

À 23h00 la civière est à la cascade du Petit Général.

Ce même jour, Nick P., averti sous peu de la sortie du corps de sa compagne, me demande de pouvoir la revoir une dernière fois, en dehors de l'hôpital ou la morgue, et loin des journalistes. Les médias le talonnent depuis le début. Je lui recommande de rester sagement au gîte à Autrans en attendant une solution favorable à son désir. Après accord avec les autorités, nous mettons sur pied avec le Colonel de Gendarmerie GIORGIS et ses hommes une mise en scène très rapide pour éloigner les journalistes et photographes au bord du gouffre. L'équipage de l'hélicoptère est mis dans la confidence et pour cause. Après une fausse sortie du réseau, le corps de Nicola fut vite transporté à la DZ du gouffre. De là, DRAGON pris la direction de Grenoble. En réalité, caché à la vue de tous, il se posa dans une prairie en direction du tunnel du Mortier au Nord d'Autrans. Afin qu'aucun véhicule ne soit suivi depuis la Molière, c'est en voiture de la Gendarmerie d'Autrans que Nick PERRIN partit sur le site.

Auparavant, nous l'avions averti de cette initiative. Pris par mon travail au PCO, je n'ai pu assister à cette petite cérémonie, laquelle, d'après le Colonel et quelques témoins, a été très émouvante. Après les minutes de recueillement devant la dépouille de sa compagne, Nick P. joua un air de circonstance, et, très digne, assista au départ du corps sur l'hôpital de Grenoble. L'émotion fut très forte pour certains. »

Mardi 16 juillet

« À 00h40, la civière est à -250, à la base des puits. Les spéléologues sont dans un état de fatigue avancée. Heureusement, des renforts sapeurs-pompiers, CRS (dont six de Nice) et une équipe Anglaise fraîche, arrivent au PC.

À 06h50, un brouillard tenace à la Molière empêche les rotations de DRAGON. Les équipes devront se rendre à pied au gouffre. Le brouillard est identique là aussi. Le déséquipement se faisant au fur et à mesure, l'acheminement du matériel vers la Molière devait se faire par portage en filet par DRAGON. Devant une météo aussi peu coopérative, il est fait appel à des renforts militaires pour le portage du matériel du gouffre à la Molière.

Dès le déclenchement de l'alerte, et pour étoffer la logistique au PC, le Délégué Militaire Départemental, le Colonel ROUGELOT, prît contact avec moi et mit à notre disposition du matériel de l'armée et des hommes de qualité uniquement pour la surface.

L'évacuation du corps de Istvan T. est très ralentie. En effet, ce dernier est très grand et assez lourd (environ 90kg) et la présence de fumées, provoquée par la combustion de déchets à -500, crée des difficultés respiratoires et oculaires chez certains spéléologues. Deux équipiers surveillent l'évolution de la nappe de fumée de -250 vers les puits et un analyseur de gaz DRAEGER avec tubes pour CO et CO2 est demandé. À ma demande, le CODIS fait le nécessaire et achemine le matériel par DRAGON. Dépose à la DZ du gouffre. Je diligente aussitôt des pompiers, compte-tenu de leur expérience dans ce domaine de mesures. Et je neutralise la séquence déséquipement de -500 à -250, pas de récupération des sacs. Ne s'occuper que de la progression civière.

À 13h58, trois spéléologues incommodés sortent. Trois autres sortiront vers 19h00. Les militaires, en plus du transport de matériel, procèdent au nettoyage de la zone de lapiaz autour du gouffre. Guy QUER, CT des Pyrénées, réorganise les équipes évacuation civière et prend la direction des opérations dans le méandre.

À 21h55, le corps de Istvan T. sort du gouffre. Il est mis sous tente au PCA, gardé par la Gendarmerie et sera enlevé le lendemain vers 9h30. Les équipes continuent les missions de déséquipement.

Sitôt dehors du gouffre, regroupement et retour vers la Molière des équipes de spéléologues, ADRASEC et des militaires, tous très chargés. Retour de nuit. »

Mercredi 17 juillet

« À 02h00, les effectifs arrivés à la Molière quittent les lieux vers leurs domiciles, alors que le VPC est démonté par les sapeurs-pompiers avant de rentrer sur Grenoble. Restent avec moi le Capitaine VALICH, quelques hommes de la CRS 47 et la Croix-Rouge.

Monsieur le Maire arrive vers 8h00 pour faire le point. Il est convenu de prendre un arrêté municipal, interdisant du 17 juillet au 24 juillet, soit une semaine, la fréquentation du réseau par mesure d'hygiène et de sécurité. La cause étant bien sur les fumées résiduelles. Ensuite, les camps armée et Croix-Rouge sont démontés avant de redescendre sur Grenoble.

Arrivée de DRAGON qui, à l'aide du Sling (filet) et en plusieurs rotations, termina le transport du matériel jusqu'au carrefour des routes, puis, après chargement du corps de Istvan T., pris la direction de l'hôpital de Grenoble. Matériel et effectifs qui seront redescendus dans deux véhicules de la CRS Alpes.

Cette phase de déséquipement mis encore à contribution, CT, CTA et quelques équipiers les 27, 28, 29 et 30 juillet 1996. »

Épilogue

299 sauveteurs ont été engagés pour 4 975 heures de missions sous terre dont 3 724 pour les seuls membres du SSF (79%) et 1 072 en surface.

Les appareils de la Sécurité civile de la base de Grenoble ont effectué 26 heures de vol pour cette opération.

Il s'agit de la plus grande opération survenue en Isère.

Le coût de l'opération s'élève à 196 748,28 Francs. Après une vive polémique sur le coût de cette opération avec le Maire d'Engins, il apparaît que la commune a été remboursée par le Conseil Général à hauteur de 231 638 Francs. Elle a aussi encaissé le chèque de caution des britanniques pour 10 000 Francs et des sommes versées par les assurances anglaises pour 31 132 Francs. Le total perçu par la commune s'élève à 272 769,71 Francs.

Les suites

La gestion d'Albert OYHANÇABAL est remise en cause par le SSF et par certains isérois. Lui sont reprochés notamment, le manque de traçabilité dans le déroulé des événements et l'absence de documents de gestion sur les 4 premiers jours. La Préfecture le soutien mais son départ est proche. Il ne gérera plus d'opération seul et laissera sa place en 1998, après plus de 30 ans au service des autres.

Sauveteurs engagés

Croix Rouge Française

La Croix Rouge Française a assuré une permanence pour fournir des repas. 807 seront préparés. 25 personnes sont intervenues à ce titre :

César GALLO Pierre-Alain DIDERONT Michel GUIQUIN
Sophie LABROUSSE Denis BEUTEMPS Annie BIN
Laurent MARILLET Gino PAYET Bernadette BOUDOT
Christophe CHRETIEN Sébastien CHEVILLOTE Ludo LOMBARD
Ingrid MARTINEZ Yves JACQUET Claude CARTON
Sandrine MARTINEZ Valérie JAYMOND Georges BONNAUD
Michel AMBLARD

ADRASEC 38

L'ADRASEC 38 a assuré les transmissions entre le PC, la Molière et l'entrée de la cavité. Ont participé à cette opération :

Ernest BOUSQUET Laurent OBADIA Régis AUBOURG Guy FERRAND
Serge MARRE René AULANIER Richard POUGET Jean-Pierre MUNGER
Dominique BOISSON Jean-Marie KING TCHANG Christian GOUDIN Jean-Jacques VALOT
Didier AZAIS Bernard GUILLAUDIN Jean-Jacques FAUCHEZ

Les sauveteurs spéléos

3SI
Frédéric POGGIA Chantal FOUARD MELCZUK Philippe AGERON
PONT Patrick GHIRARDI MERLIN Frédéric AITKEN
Jean-Pierre POUCHOT Emmanuel FOUARD Jean-Pierre MERIC Christophe ARNAUD
PRAL Jean-Pierre GONZALES MERMET Christophe ARNOULT
Christian PUISSANT Benoît GRAUVOGEL MICHEL Rolland ASTIER
Philippe QUINCIEU Thierry GUERIN Thierry MIGUET Serge AVIOTTE
Éric SANSON GUTTON Thierry MILLET BELLE
SAUSSE Christophe HEMERY Jean-Louis DABENE Jean-Pierre BENOIST
Luc SAUVAGEON Marie HERNEQUET DARNAULT Pascal BOIRON
Hugues SAVEY-GUERAZ Olivier HERR DASSONVILLE Gildas BRAZEAU
Simina SIBU Marc JOUIN Jean-Nicolas DELATY Daniel BRUYERE
Jean-François SIEGEL Maixent LACAS Hubert DESPLANQUE Philippe CABREJAS
Y. SIEGEL François LANDRY François DUPREZ Stéphane CABROL
TERRIER Laurent LANDRY René PAREIN Serge CAILLAULT
Roland TIRARD-COLLET PAVY Jacques CARLES Michel VINCENT
Thierry LARRIBE PERRET Alain CAULLIREAU Rémy VUILLOT
LAVERLOCHERE Jean-Claude PINNA Emmanuel CAZOT Jez WAIN
LEFEVRE Bernard FAURE CHAPUIS Jean-Marc WOHLSCHLEGEL
Christine LEROCH Didier FERRAT Benoît CHOQUET David WOLOZAN
Marie-Françoise LEVILAIN Bernard PLAN Hervé CHRISTINI Avédis JANGOTCHIAN
Baudouin LISMONDE Emmanuel PLUCHARD Pascal CLECH NADAL
Yanick MADELENAT FERREOL Marc COLLIARD Gabriel NALLET
MAILLAND MONIN Gérard COUROUBLE Albert OYHANÇABAL
Xavier MARTIN Laurent MINELLI Bernard CRUAT Bernard OYHANÇABAL
N. MATTER CROUSLE PALU Alain MAURICE
SSF01
Bernard ABDILLA BELTRAMI BERNE BUIRE
CHAMBOST DORINE C. FEVRE G. FEVRE
FLOCHON FONTANA GALLET Bruno HUGON
R. JEAN MOIRET NEYROUD Guy PESENTI
JM. PONCIN RAGON
SSF07
BERTHIAUD CABIAC Yann CARFANTAN Robert CROZIER
Y. GAUDE H. GAUDE HERVE Laurent GOUIRAND
JOURET LASPALLES MARTEL PERRIER
Stéphane TOCINO
SSF26
ABADIA Jérôme AIGRET ASCENSI AUBERT
Béatrice AUDOUARD Jean-Jacques AUDOUARD BENARD Didier BONNARDEL
BURCHAMP CADDEDU Gilles FENOUIL FLENET
GUINET Thierry KRATTINGER Jean Yves LIOTAUD Olivier MAILLAFAUD
MARIGOT MORAND MOESELLI Nicolas RENOUS
Pierre RIAS ROCHECEYTE Roland THERON VIGNON
SSF69
Jean-Pierre BARBARY Fabien DARNE DESPAIGNE DUBAIL
GAUDIN Jean-Philippe GRANDCOLAS Jacques GUDEFIN HAMM
Bertrand HOUDEAU Laurent MANGEL MONTEIL MOUDOUD
Jacques ORSOLA PELLET PLANTIER POUILLY
SENOT TROLLIET
SSF73
BADIN Jean BOTTAZZI COLLIOT Christian DODELIN
DUBOIS DUNILLAC FERRARI GARNIER Fabien HOBLEA
MANIEZ Jacques NANT RACT REMY
G. YOCCOZ M. YOCCOZ
SSF74
BEGIN BRUNEL CATHIARD DAVET
DETRAZ DURDILLY FOURNIER Gérard GUDEFIN
JOUX LANGLAIS LOPEZ MANIGLIER
MOUZARINE PRATTER GUILLOT RAY
PGHM Oloron
ABADIA LARROUILLET
CRS Lanemezan
BALLARIN BLADE BOLCE PIQUEMAL
PIQUEMAL Guy QUER SABATIE SANCHO
TOUJAS
CRS Perpignan
BARBE COTTERAY HENRICH HENRICH
QUEYROL RAMIES VALLES
CRS Albertville
CHENOT CIGNETTI IRIART PUJOL
RATTIER ROUYR SIMEONIE
CRS Briançon
BERTRAND BONHOMME KERES
CRS Grenoble
Marc ALMONTE DREASSE GARDETTE GAUTHIER
David GENDRE GIOUDAN Jérôme GRAILLE JAMES
LEON Pascal MARTEAU Serge NAVALE PIETROWSKI
PIOVESAN RICHIER Laurent SOULIER Christian THOMASSIN
Gérard VALICH
CRS Nice
ROSTAND SCHIAVOLINI
GRIMP Isère
Fabrice ROBINO COSTA Serge GLENAT
Jean-Pierre LEGER MAHIEU PICHET
SAUVIGNET
GRIMP Savoie
BLAD DEVIME GAY
MARS MIKULSKI
GRIMP Alpes-Maritimes
D. AUVARO P. AUVARO DELAYE
FIORINA LOPEZ
SAMU
BARTHE Emmanuel BRIOT Thierry DELECOURT
Vincent DUTHEIL Yann PASCAULT
SPELEOS ANGLAIS
BASS COOPER HOWSON
MONICO Graham NAYLOR PENNEY
WATT WATT
INDÉTERMINÉS
AGNELE BOLLOT BUSH
LAVAU SEBATIC BOILLOT
HACHE INETIT B. LAURENT
PIQUERE RAMIREZ

Témoignage de Thierry LARRIBE

« Je suis appelé le 14 juillet 1996, en fin de journée. Je dois me présenter au PC de la Molière, vers 0h00. Je dois participer à l’évacuation d'un blessé. C'est mon deuxième secours après celui de 1994 dans cette même cavité. J'arrive à la Molière, je m'inscris au PC. On m'indique rapidement ma mission, je pars. La marche d'approche est vite avalée, l'entrée du trou est là. On dirait une vraie fourmilière. Nous nous changeons. Nous descendons, rapidement, on ne rejoint pas notre objectif, quelqu'un nous arrête en cours de route, il s'agit d'un chef d'équipe de la Savoie. Nous n'irons pas au sommet du puits Aldo mais au-dessus du Gontard. Au bas du Garby un groupe de sauveteurs se repose sous des couvertures de survie. C'est impressionnant tous ces gens, là, allongés ou assis.

On attend longtemps au sommet du Gontard. Certaines spéléos remontent, ils ont l'air fatigués. La civière est annoncée, nous sommes frigorifiés. J'ai trop mal au pied. La civière est rapidement en haut du puits. Je me retrouve avec un gendarme ou un CRS à tirer les 110 kg, à deux dans une position inconfortable. Le reste de l'équipe a été positionnée dans le méandre. Avec le renfort d'un sauveteur qui accompagnait le blessé, nous réussissons à poser la civière en haut du puits. Je n'ai plus froid, au contraire !

Le méandre est là, il faut que j'aille me positionner. Je m'intercale entre des gens que je n'avais pas encore vus. Nous nous installons au fond. La civière arrive à la verticale, longée à quelqu'un situé au-dessus. On se la passe de mains en mains, il est vraiment lourd ce hongrois. Dès que notre tour est passé on essaie tant bien que mal de se frayer un chemin entre les autres et la paroi pour se positionner devant le groupe. Je donne des coups de botte dans quelques têtes, j'en reçois aussi. Ça fait rire le blessé. À la sortie du méandre, notre ami est pris en charge par une autre équipe. Ils ont l'air en pleine forme, ils viennent de descendre après une bonne nuit de sommeil.

À la base du puits du Cairn, beaucoup de monde attend pour remonter. Je m'assois, je m'assoupis. Quelqu'un me réveille « tu ne peux pas rester là, les cordes sont libres, vas-y ». Je sors donc. Arrivé sur le lapiaz, je me change, il fait beau et chaud. On m'indique que l'hélicoptère va faire une rotation vers la Molière, je me prépare, ça va me permettre d'éviter 1h30 de marche pour le retour. Pas de bol, un groupe est déjà prêt. Je dois attendre l'hypothétique prochain voyage.

Je décide de retourner à ma voiture à pied. Je me trouve rapidement à hauteur d’un spéléo (un drômois je crois), il est resté en combinaison plastique. Au bout de quelques enjambées, je lui demande pourquoi il garde sa combinaison de surcroît fermée. Il semble gêné, il m'avoue qu'il était dans un méandre avec une grosse douleur à l'abdomen quand la civière est arrivée, il a fallu qu'il participe à l'évacuation. À un moment, il a dû forcer très fort, a cru lâcher un pet et malheureusement s'est trompé sur la nature de ce qu'il devait sortir, il s'est fait dessus. Il n'a pas osé se changer à la sortie et il est vite parti pour rejoindre le plus rapidement possible son véhicule. Nous avons rejoint le parking d’un bon pas. Il n'est pas passé par le PC immédiatement et pour cause. Je ne l'ai plus jamais revu. »

Témoignage d'Alain MAURICE

« Je suis intervenu deux fois sur ce secours : dans la première équipe recherche de la SSSI après l’intervention des Anglais, puis quelques jours plus tard pour déséquiper. Plutôt qu’un récit complet, j’ai préféré quelques bribes des souvenirs décousus qui restent 14 ans après, en toute amitié avec ceux qui se reconnaîtront peut-être.

- Depuis deux jours Albert nous tient en pré-alerte, il y a trop d’eau pour l’instant mais dès que la rivière passe on y va. Mercredi 10 juillet au matin, un tour dans l’Alouette et nous voilà descendant à cinq dans le Berger, tout est encore calme, en surface comme sous terre. Arrivés au niveau du Vagin, nous regardons machinalement au plafond : couvert de mousse de crue, toute la zone a siphonné. Depuis, à chaque fois que j’y repasse, je reste impressionné par le débit que cela représente.

- Début des Coufinades, je ne reconnais pas bien... d’habitude les cordes sont installées plus hautes. Plus loin, les mains-courantes sont même installées sous l’eau ! Un bon mètre d’eau de plus que le niveau standard. Nous terminons à la nage, avec seulement le bas de néoprène c’est frais.

- Deux morts, suspendus sous l’eau, passons vite sur ce souvenir.

- Jonction avec les deux Hongrois survivants à –900, ils sont réconfortés de nous voir, on fait chauffer un thé. Je me rappelle son sourire quand il verse d’un coup tout leur reste de sucre... En tout pour soulager la douleur, une aspirine qui traîne au fond du sac, pas bien génial.

- En remontant, dans la rivière nous croisons une autre équipe, certains avaient choisi la pontonnière, ils ont perdu et sont transis...

- 3 h du matin retour au PC, fidèle à son habitude Albert ne dort pas. Nous lui expliquons qu’il y a vraiment beaucoup d’eau, qu’il faut la néoprène complète, pas la ponto, il nous répond que ça dépend des gars, et que lui n’est pas frileux... !

- De retour à la Molière 3 jours plus tard, tout a changé, du monde partout, des tentes, des camions... Pas le temps de passer au PC, on me fait signe de sauter dans l’hélico, j’ai à peine le temps de prendre mon sac et direction l’entrée du Berger : efficace !

- Grand bazar à l’entrée, que de monde ! Nous sommes prêts à descendre mais pas moyen, il paraît que ça manœuvre pour remonter... Et alors ! on peut bien se croiser ? Bref je finis par me fâcher, hors de question de poireauter 3 h dehors avant de descendre à –750 !

- Nous sommes 4 pour déséquiper la rivière depuis la cascade des Topographes. Surprise, il y a aussi sur place une civière lestée du corps du Hongrois emballé et plusieurs sacs déjà remplis...

- J’ai descendu un des tous premiers prototypes de ProTraxion : dans la rivière pour promener à deux la civière, quel gain de temps ! C’est sûr, ce produit aura de l’avenir. - Déséquipement de la rivière, couteau indispensable, y compris pour larguer les tyroliennes nouées aux deux bouts, jolis pendules de civière... On va pas y passer la nuit !

- Cascade Abelle, une équipe nous rejoint, j’équipe une tyrolienne pour la civière au plus facile pour nous, droit sous la cascade, ce qui me vaut quelques remarques du chef d’équipe (avec sa cagoule, j’ai oublié qui c’était). Ce en quoi je lui réponds qu’il est déjà passé plusieurs fois sous l’eau sans se plaindre...

- Sortie des Coufinades, on fait la chaîne pour passer les sacs : 17 kits et une civière joli score pour notre petite équipe !

- Minuit : –500 au point généphone, plusieurs spéléos sont là, visiblement endormis. Pourtant ils viennent de descendre. « Vous faites quoi comme mission ? » « On attend pour prendre la relève. » Je n’ai jamais osé demander la relève de quoi... »

Témoignage de Bernard OYHANÇABAL

« Comme beaucoup, j’ai suivi cette crue magistrale, faisant le tour des résurgences. Du moins, celles qui étaient encore accessibles. Lorsque l’alerte tomba, il n’y eut aucun mot, juste un geste : se gratter la tête. La montée depuis Pont-en-Royans fut épique. Les Gorges de la Bourne étaient coupées, la route ayant été arrachée par les flots tumultueux de la rivière. Nous passons donc par les Goulets, puis Herbouilly. Tout le long, on pouvait apercevoir les dégâts.

Le plus frappant fut en débouchant des Gorges du Méaudret, avant Méaudre. Piquets et poteaux téléphoniques, électriques, ou indicateurs étaient entourés de foin fraîchement coupé, jusqu'à plus d’un mètre de hauteur. Tout le Val était noyé ! La tâche allait être rude là-haut, au Berger...

Parvenu au PC, à la Molière, je saluais tout le monde. Gérard Valich, tenait d’une main une radio, et de l’autre un téléphone, et courrait réguler les allées et venue de l’Alouette III. Le CT me prit à part de suite :

« Tu prends de quoi équiper, et tu fonces t’occuper de la rivière jusqu’à –1000. »

« Mais tu sais bien que je n’ai pas l’entraînement ! »

« Je sais ; mais j’ai pas le choix. J’ai personne sous la main... »

Avec Yanik MADELENAT, une équipe se constitue, et nous filons vers l’antre... La descente se fait rapide, tout en croisant les équipes étrangères qui remontent. Entre deux puits, je réussis à me faire agresser par un des Anglais. Ce dernier, fort mécontent de la paire de gants que je lui avais vendue, me le fait savoir aigrement. Ah, le doux charme des relations commerciales... A –640, les néoprènes sont enfilées, et nous rentrons dans le vacarme. La rivière est démontée, écumante (tiens, cela me rappelle quelque chose). Le matériel est pulvérisé ! Des plaquettes sont même tordues, mutées en tôles plates. Les cordes sont devenues dentelles. L’accessoire le plus utile ? Le couteau de pont. Et nous voyons disparaître dans les rapides les filasses de nylon... Les cascatelles n’existent plus, elles ne sont que rapides !

Il y a un tel travail, que nous ne pouvons arriver qu’à la Cascade des Topographes. Les accus n’en peuvent plus. Nous remontons ; pas le choix. La remontée du puits du Cairn est interminable. Elle s’agrémente d’un bruit assourdissant : celui de l’Alouette. Celle-ci ponctue notre montée, au gré des diverses rotations effectuées : trois minutes de vol entre la Molière et l’entrée. La sortie s’effectue sous le soleil, 26 heures après.

Tellement vidé, je me déshabille devant les caméras de TF1, qui filment. Je le saurai le lendemain soir, lorsque j’appris que ma belle-mère m’avait reconnu... à mes fesses. Véridique. Mon postérieur au JT de 20h... Qui l’eut cru...

Nous bénéficions du transport de l’Alouette. Au camp de la Molière, l’armée a installé une logistique lourde. Nous nous reposons dans une tente marabout, sur des lits à picots. Souvenirs d’une conscription... Au bout de quelques instants, les corps harassés de fatigue s’abandonnent à Morphée. Même les rotations de l’hélico, ne nous réveilleront pas ! C’est pour dire...

Ce fut la première mission de ce long et pénible sauvetage. »

Témoignage d'Enzo MINELLI

« Les histoires commencent par « il était une fois... ». Là encore on peut dire il était une fois un début juillet très pluvieux, à l’époque j’œuvrais comme pro spéléo et en ce mois le travail débutait. Je suis prêt à partir avec mon matériel pour travailler quand je reçois un appel, je crois d’Albert, qui cherche une équipe pour aller à la jonction de spéléologues en difficulté dans le Berger. J’enfile mon sac et je pars de Villard pour me rendre à la Molière. Sur la route je traverse la plaine Autrans-Méaudre avec de nombreux grands lacs inhabituels ! Et les essuies glace de ma voiture tournent très vite ! « Il doit y avoir beaucoup d’eau sous terre ! » me suis-je dit.

Me voilà à la Molière. L’équipe, composée d’Alain Maurice, Fabrice Arnaud, Éric Sanson, Benoît Choquet, Thierry Guerrin et moi est prête. Après un petit briefing par Albert, nous voilà partis avec 40 mètres de corde, un peu de nourriture, les néoprènes et un point chaud (avec des nouvelles survies !). Et nous étions prêts, je crois, à secourir plein de gens. C’est l’histoire d’une quinzaine d’heures et le lendemain nous bossions...

On passe sans problème le puits Aldo avec peu d’eau mais plus on descend plus il y a d’eau. On se change au Vestiaire pour juste après découvrir qu’il n’y a plus de cordes dans les Coufinades. Elles sont sous l’eau ! Nous devons donc nager dans ce nouveau bief. Effectivement, Il y a beaucoup d’eau et la néoprène avec cagoule est la bienvenue. Entre temps nous avons rencontré Paul Mackrill. Dans les ressauts des cascades nous rencontrons une personne de l’expédition qui dormait sur une vire et là nous apprenons le décès d’une spéleo dans l’une des cascades plus loin. En fait, cette spéléo était sur la main-courante avant la cascade, impossible de la shunter, alors nous passons tous sur la même corde ! Et là on se pose plein de questions mais surtout ce qu’on va découvrir plus bas, cela devient glauque, le moral en prend un coup.

On laisse deux gaillards avec la personne qui dormait sur la vire, puis Alain, Fab, Thierry et moi nous continuons vers le fond. Après le Grand Canyon, il y a toujours beaucoup d’eau, on descend une cascade de trente mètres, puis les ressauts du Mat et du Singe et là, dans la salle du bas, des lumières et des cris, ils sont là. Ça y est on les a rejoints. Il suffira de les remonter...

Je descends le P30 qui est fractionné en plusieurs fois. Et là, au frac, impossible d’installer mon descendeur, pas de mou sur la corde. Je tire la corde, je la bouge, rien ne passe, alors je me décale pour voir la suite. D'abord je ne comprends pas et puis je réalise qu’un spéléo est accroché dans la boucle du frac, allongé, inerte. Impossible de passer, je remonte refroidi. On décide d’installer notre corde pour doubler l’équipement, et encore une fois nous devons passer sur ce fractio obligatoire pour rejoindre les autres. Nous sommes donc tous passés, sans broncher (j’ai toujours cette image en souvenir). Puis nous rencontrons les deux hongrois.

Fab parle bien anglais, l’un d’eux semble avoir des douleurs à la jambe et au dos et l’autre est en forme. Nous décidons de déplacer le blessé car il est proche de la cascade et du courant d’air, mais il a trop mal, alors nous installons un point chaud à cet endroit ! Nous déplions les fameuses couvertures de survie, en fait ce ne sont que des morceaux de 15 cm de large et de 2 mètres de long ! Néanmoins nous arrivons à lui fabriquer une cabane de fortune, lui donnons du thé et un casse-croute et puis on décide de qui reste et qui remonte. C’est tombé sur Fab et moi qui restons et Alain et Thierry remontent pour aller chercher la relève rapidement.

Une très longue attente débute alors. Nous alternons entre l’espoir d’entrevoir une lueur, un bout de somnolence, un thé, des frissons et du réconfort pour nos hongrois. Attendre pour rien est toujours frustrant, mais là, sans nourriture suffisante (nous partagions le sachet de thé), nous ne savons que faire, à part attendre. Après je crois une vingtaine d’heures, une équipe est enfin arrivée avec un toubib. On ne s’est pas fait prier, après un bilan médical, nous nous empressons de remonter pour le communiquer. Nous n’avons rencontré personne jusqu'à la salle des Treize mais après, plein de lumières et beaucoup de monde qui monte et qui descend dans tous les sens. Je vois des potes, ça perce partout, je rencontre Yannick qui me taxe ma combine néop pour descendre plus bas. Nous ne traînons pas, nous remontons en doublant d’autres qui remontent aussi. Plus on se rapproche de la sortie, plus il y a du monde. Dans les puits d’entrée, plein de gens équipent pour l’évacuation, on ne comprend pas trop, mais là nous sommes super motivés de voir la sortie.

À la surface nous rencontrons Marco qui nous propose un retour hélico, puis nous voilà au PC pour le compte-rendu. Encore plus de monde, des voitures partout, des tentes, des camions et des officiels. Nous sommes rentrés à la maison, dormir et bosser. Puis je suis revenu quelques jours plus tard, il y avait toujours beaucoup de monde.

Bref, on est là pour secourir des spéléos, pour organiser les secours, faire de la prévention, etc... mais en ce qui concerne le décès de spéléos, je n’avais pas été préparé à cette éventualité. »

Témoignage de Jean-François SIEGEL

« Mercredi 10 juillet 1996, je suis au bureau quand Albert me met en alerte. Avec Michel Vincent et Jean-Pierre Benoit qui me rejoignent au local, on charge le matériel de secours avant de rejoindre La Molière. Il est 10 heures.

On commence à installer et gérer le PC, Albert arrive, et une équipe part en reconnaissance. Je suis engagé dans une équipe peu avant minuit avec pour mission de porter du ravitaillement à –500. Nous n’avons jamais vu le Gouffre Berger aussi humide, ça coule de partout ! À – 500, on laisse notre charge, et on continue jusqu'au vestiaire (–640) où on laisse un kit de nourriture. Dans le secteur du Vagin, le plafond est couvert de mousse, c’est impressionnant, et je n’ose pas imaginer ce qu'il a pu se passer là. La première équipe remonte avec deux rescapés. On se charge d’un Hongrois que l’on amène jusqu'à –500 où des tentes sont installées. Une équipe le prend en charge, il est vraiment très fatigué, mais en sécurité ici. Je ne parle pas le hongrois, mais nos regards se comprennent. On continue de notre côté et l’on regagne la surface jeudi vers 6 heures.

Vendredi 12, samedi 13, dimanche 14, lundi 15, alternance entre travail de gestion en surface et repos. Il y a du monde partout. La solidarité spéléo n’est pas un vain mot. Chacun donne le meilleur de lui-même, bien que la fatigue fasse ressortir chez des gens de caractère quelques mouvements d’humeur.

La presse est aux aguets ; il faut bien qu’ils informent ! L’atmosphère générale est un peu surréaliste. Albert lui, est toujours aux commandes, je ne sais pas quand il dort !

Et nouvelle mission pour remonter un corps de –500 à –50. Nous entrons dans le Berger vers 18 h 30 pour ressortir mardi 16 vers 3 h 30. Ce n’est pas drôle de porter un brancard dans la pénombre de nos lampes acétylène, et les blagues fusent pour détendre l’atmosphère. Pas facile, c’est lourd un brancard.

De retour à la maison, je retranscris mes notes, et je classe le total dans un dossier que j’ouvre aujourd'hui. De toutes ces années passées à la SSSI et dans le monde de la spéléologie, je retiendrai ce côté magique qui rassemble en un temps record un très grand nombre de bénévoles de toutes conditions et de tous niveaux, quand un spéléo a besoin de secours. »

Sources

  1. compte-rendu d'Albert OYHANÇABAL.
  2. INFO SSF n°42 septembre 1996.
  3. Spéléo Secours Isère 1970-2010 : 40 ans de secours souterrain – Comité Départemental de Spéléologie de l'Isère.
  4. Lettre de Bernard PERAZIO, Conseiller Général en date du 16/04/1999, relative au remboursement du Conseil Général à la commune.
  5. compte-rendu de Patrick RICHARD, chef de la base hélicoptère de la Sécurité Civile de Grenoble.
  6. compte-rendu de César GALLO, responsable de la Croix Rouge Française en date du 23 juillet 1996.
  7. compte-rendu de Jean Paul YONNET, responsable de l'ADRASEC 38.
  8. compte-rendu financier d'Albert OYHANÇABAL.